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La rencontre de deux génies

Matisse & Rodin

Jusqu’au 28 février 2010

[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-MATISSE-ET-RODIN-MATRO.htm]

Musée Rodin, 79, rue de Varenne 75007, 7€

Rodin et Matisse ont en point commun la pratique du dessin et de la sculpture, les deux tendant vers l’élimination de tout superflu formel. Mais cette essence nécessaire de l’oeuvre ne s’exprime pas de la même manière chez l’un et chez l’autre, comme le met en valeur brillamment l’exposition « Matisse & Rodin », actuellement présentée au musée Rodin.

L’exposition aborde les différents parallèles thématiques qui peuvent être dressés entre les dessins et la sculpture de Matisse (1869-1954) et Rodin (1840-1917).  Avec comme point de départ la présentation de leurs dessins de nus – motif essentiel chez les deux artistes au point d’en devenir un langage  « quasi exclusif » -, commente Dominique Viéville (directeur du musée Rodin).

En 1899, Henri Matisse (31 ans), se rend dans l’atelier de Rodin (60 ans) pour lui présenter ses dessins. Si le maître reconnaît la facilité de trait du jeune homme, il lui dit de revenir quand il les aura mieux « pignochés ». Exactement l’inverse de ce que Matisse pratique, lui qui réduit son trait de crayon continu à l’essentiel. Rodin, lui, cherche à saisir le mouvement précis du muscle, en le retravaillant jusqu’à ce qu’il en soit satisfait. Mais sans regarder sa feuille, son regard se portant uniquement sur le modèle vivant qui déambule dans son atelier.
Vexé, Matisse décide que cette première rencontre sera la dernière. Rodin ne sera pas le maître de Matisse. Du moins pas officiellement.

Car cette même année, Matisse achète chez le marchand de tableaux parisien, Ambroise Vollard, un plâtre original d’Auguste Rodin, Le Buste d’Henri Rochefort (1884) et un tableau de Cézanne, Les trois baigneuses (1879-1882). Signe qui laisserait à penser que Matisse place la sculpture de Rodin à la même hauteur que l’oeuvre picturale de Cézanne, qu’il tient en grande estime.

Un an plus tard, le jeune peintre en gestation du Fauvisme, se rend au Pavillon de l’Alma où Rodin expose en marge de l’Exposition Universelle. Matisse vient de se mettre à la sculpture – il a entamé son Jaguar dévorant un lièvre, d’après A. L. Barye (1899-1901), présenté en transition vers la deuxième salle de l’exposition. Au Pavillon de l’Alma, le jeune artiste observe L’Homme qui marche sur colonne (1877) de Rodin. Coïncidence? La première grande sculpture de Matisse, Le Serf, qu’il met trois ans à réaliser (1900-1903), ressemble étrangement à l’oeuvre de Rodin! Même pose que L’Homme qui marche sur colonne et même bras tendus que ceux du Jean d’Aire nu de Rodin. En 1908, les bras du Serf en plâtre sont cassés accidentellement. Matisse reprend alors l’idée originale de Rodin de présenter ses sculptures partielles comme des oeuvres à part entière, et fait couler le bronze du Serf avec les bras tronqués. La statue n’en acquiert que plus d’expressivité. Rainer Maria Rilke écrit au sujet des sculptures partielles de Rodin: « [Dans les statues sans bras de Rodin], il ne […] manque rien de nécessaire. On est devant elles comme devant un tout qui n’admet aucun complément. » Même impression chez Matisse.

L’intérêt de Rodin et Matisse pour le mouvement du corps atteint son apogée dans la représentation de la danse. La Ronde (1883-1884) de Rodin rejoint La Danse (1909-1910) de Matisse dans leur maîtrise des deux caractères inhérents à la danse: l’équilibre et l’envol.

Quelques natures mortes de Matisse incorporant ses propres sculptures s’immiscent dans l’exposition. Elles illustrent comment Matisse entend supprimer les frontières entre les arts. La sculpture ne fait qu’un avec les éléments décoratifs, elle contribue à un équilibre harmonieux de la composition, de « l’espace vécu » (Rémi Labrusse).

L’exposition se termine sur la présentation de dos féminins. Quatre Nus de dos (1909-1930) de Matisse – jamais présentés ensemble du vivant de l’artiste – font écho aux Torse de femme cambrée (1909) et Torse féminin assis dit du Victoria & Albert Museum (vers 1910-1914?) de Rodin. A partir de 1910, le sculpteur simplifie à l’extrême. Lui, qui, comme Matisse, aime laisser les hasards du work in progress – traces de doigts dans l’argile, défauts de moulage, accidents de texture – afin que la sculpture capte mieux la lumière par ses bosses et ses creux – tend vers encore plus de simplificité en plongeant ses plâtres dans un liquide « unificateur ».

Matisse aura réalisé à peine plus de 80 oeuvres sculptées entre 1899 et 1930. La sculpture reste pour lui un moyen secondaire, destiné à compléter sa pratique picturale. Si, à l’inverse, la sculpture représente le medium essentiel avec lequel s’exprime Rodin, lui-même affirmait que ce sont ses dessins qui sont la clé de son oeuvre: « ma sculpture n’est que du dessin sous toutes les dimensions. »

Une splendide exposition qui présente l’opportunité de confronter des pièces de Rodin à une part moins connue de l’oeuvre de Matisse en provencance du musée Matisse à Nice. Et que je n’ai malheureusement pas pu mettre en visuels, ces derniers n’étant pas libres de droit. Donc, allez-y, sans hésitation!

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