Jusqu’au 29 mai 2010
Hôtel de Ville, 5, rue Lobineau 75004, Entrée libre
L’oublié du mouvement des humanistes. Izraëlis Bidermanas (1911-1980), dit Izis faisait partie des Five French Photographers exposés au MoMA, New York, en 1951, avec Brassaï, Doisneau, Ronis et Cartier-Bresson. Pourtant, contrairement à ses confrères, le nom d’Izis a été oublié de la postérité. Avec l’aide de son fils, Manuel Bidermanas, la Mairie de Paris souhaite raviver les mémoires et rendre hommage à ce Lituanien qui a élu Paris comme terre d’asile. Et a su contribuer par son art à faire de la capitale une ville de Lumière, une cité des rêves.
L’exposition rassemble près de 270 photographies, des documents filmés et des exemplaires originaux de Paris-Match – choix explicite des commissaires de l’exposition, comme le note Armelle Canitrot (critique photographique et chef du service photo de La Croix). Car c’est avec ses reportages photographiques qu’Izis se fait un nom.
A commencer par sa série des maquisards de 1944. Loin des studios photographiques, Izraëlis qui prend alors le nom (contraction de son prénom) d’Izis, dresse le portrait « brut » de clandestins résistants. « Pour la première fois de ma vie, je me suis posé le problème de la photographie: comment les photographier? Je ne pouvais pas faire des portraits retouchés, avec faux éclairages et poses artistiques. Alors j’ai inventé une photographie nouvelle pour moi. J’ai épinglé un papier blanc sur un mur de la petite pièce et entre deux coups de téléphone, j’ai entrepris de faire leur portrait ».
Engagé auprès des Forces Françaises de l’Intérieur, Izis s’est réfugié à Ambazac (Limousin) avec sa première femme, fille de ses anciens employeurs du studio Rabkine (dans le 13e arrondissement parisien), dont il a un fils, Manuel.
Cantonné au standard de la caserne de Beaupuy, le jeune homme immortalise avec les moyens du bord soixante-dix maquisards en tenue de combat, mal rasés. Et découvre la joie de rompre avec les codes professionnels.
Fort de cette nouvelle audace, Izis remonte à Paris, divorcé, et entreprend de conquérir cette ville qui « excitait mon imagination », comme d’autres juifs exilés rêvaient de New York. « C’était la Ville Lumière. Pour moi, tout se passait à Paris. […] Nous étions attirés par la France comme pays de l’Esprit. La Liberté, l’Egalité de l’homme et la Culture, c’est ça qui nous faisait rêver ».
Et rêveur, Izis, l’est. Depuis son enfance où les professeurs de Marijampolé (Lituanie) le surprenaient à ne pas suivre les cours et où il s’entête à devenir apprenti photographe contre la volonté de son père qui le veut menuisier. Attiré par la peinture, Izraëlis arrive dans le Paris impressionniste des années 1930. Il y retourne après son séjour du Limousin, en 1945.
Sa rencontre avec Brassaï est un déclic. Il se met à photographier le Paris populaire. Mais est-ce par timidité?, il n’ose s’approcher que des enfants, des dormeurs, des marginaux comme les gens du cirque ou à l’image de Diane Arbus ceux qui ont des anomalies physiques (obésité, jambes de bois).
Les photographies d’Izis ont certes une facture classique. Mais elles reflètent ce petit quelque chose qui porte la signature de l’artiste. Comme un grain de sable qui vient enrayer la parfaite plasticité des images. Telle cette cage d’oiseau posée sur le rebord d’une fenêtre qui menace de se renverser (rue Grenetta), présageant d’une catastrophe sous un ciel radieux.
Là réside la spécificité d’Izis. Ce point de déséquilibre dans la photographie alors qu’une première approche semble l’attacher au gai mouvement des réalistes poétiques, ceux qui dans le climat de l’après-guerre, essaient de voir le positif après l’horreur de la Seconde Guerre mondiale. « Mais il n’a pas l’espièglerie de Doisneau, pas le côté politique de Ronis ni celui, intellectuel, d’Henri Cartier-Bresson », précise son fils Manuel, lui-même photographe.
Culpabilisé à vie d’avoir échappé au massacre de sa famille en Lituanie, Izis porte en lui une part d’éternelle tristesse. A peine compensée par son second mariage avec Louise Trailin, dont il aura une fille, Lise. Et le succès grandissant de sa carrière photographique.
Izis capture les traits des grands écrivains et artistes de l’époque tels Aragon, Eluard, Breton, Colette, Prévert, Chagall. Seul photographe que le peintre russe accepte auprès de lui alors qu’il réalise le plafond de l’Opéra Garnier. A travers sa série des esquisses progressives de Chagall, I. Bidermanas traque l’inspiration artistique.
Pour Armelle Canitrot, Izis « bouscule les formes traditionnelles du portrait ». Il innove en mettant en exergue le hors-champ. En choisissant de représenter Roland Petit en train de mimer son métier de chorégraphe ou Paul Léautaud à travers ses chats, perçus comme autant de personnalités de l’écrivain.
Izis « est aussi moderne dans sa façon de considérer le livre comme la forme la plus aboutie de son oeuvre et comme le meilleur moyen de la diffuser », poursuit A. Canitrot. « Izis fait un travail assez inédit dans sa façon de concevoir ses ouvrages. Par exemple, il exlut de faire se côtoyer deux images sur une double plage, pour éviter les télescopages.[…] Il est l’un des photographes à avoir poussé aussi loin la recherche sur l’articulation entre les photographhies et les mots. »
Izis disait n’appuyer sur le déclencheur que lorsqu’il se sentait en accord avec ce qu’il voyait. Aux vues de ses photographies, on peut en déduire que ce moment intervient lorsque son propre déséquilibre intérieur concorde avec celui de son environnement. Il en fait ainsi ressortir la fragilité, mais aussi la dérision, parfois l’humour (cf. sa série sur le couronnement d’Elisabeth II, en particulier Les oies du couronnement, 1953).
Izis nous dévoile un monde qu’il a su poétiser. Grâce à son sens aiguisé de la lumière et sa sensibilité particulière de rêveur.