Irving Penn – Small trades (Les Petits Métiers)
Jusqu’au 25 juillet 2010
Fondation Henri Cartier-Bresson, 2 impasse Lebouis 75014, 6€
Les photographies d’Irving Penn (1917-2009) sont irremédiablement associées au magazine de mode Vogue. La Fondation Henri Cartier-Bresson nous fait découvrir un autre aspect du travail de ce grand photographe américain, disparu récemment. A l’instar de son contemporain Willy Ronis, l’artiste a légué une partie de son travail – ici au J. Paul Getty Museum de Los Angeles – qui fait l’objet aujourd’hui d’une présentation inédite à Paris. Entre ironie et nostalgie des années 1950, les clichés exposent les petits métiers de Paris, Londres et New York. Pour la plupart disparus de notre quotidien, comme l’avait pressenti Irving Penn.
C’est lors d’une commande de Vogue en juin 1950 pour couvrir ses premières collections de haute-couture à Paris, que Irving Penn a l’idée, entre deux clichés de mode, d’engager un travail plus personnel fondé sur sa fascination pour les petits métiers. « A Paris, le photographe est particulièrement sensible aux tenues noires et blanches des serveurs », commente Anne Lacoste, co-commissaire de l’exposition (conservatrice adjointe du département de photographies du J.P. Getty Museum).
Irving Penn loue un atelier désaffecté rue de Vaugirard qu’il transforme en studio. Ses compères, Robert Doisneau et Robert Giraud, sont chargés de racoler les travailleurs afin qu’ils posent, contre une petite rémunération, dans leur tenue de travail et avec leurs outils appropriés. Le photographe les fait volontairement poser hors de leur lieu d’activité, dans une « petite pièce », sans décor. Car, selon lui, « éloigner les modèles de leur environnement naturel et les installer dans un studio face à l’objectif, n’avait pas seulement pour but de les isoler, cela les transformait » (Worlds in a small room, 1974).
Penn renouvelle l’opération à Londres (septembre 1950) puis à New York (automne 1950). Dans chacune des trois villes, il capte la spécifité des métiers traditionnels (bouchers à Paris/vendeurs de hot dogs à New York) ou leurs différences d’attitudes lorsqu’il s’agit du même métier (le vendeur de journaux parisien tient ses feuilles de choux, la main en l’air, béret sur la tête; le Londonien porte sur lui, en homme sandwich typique, un gros titre d’actualité accroché autour de son corps).
Suite à cette étude quasi sociologique, qui rappelle le travail de ses prédécesseurs, August Sander (Hommes du XXe siècle) et Eugène Atget, l’artiste relève: « En général les Parisiens doutaient que nous ferions exactement ce que nous leur avions dit. Ils pensaient que quelque chose de louche allait arriver, mais ils arrivaient au studio plus ou moins comme convenu – motivés par le cachet. Les Londoniens étaient différents des Français. Etre photographiés en tenue de travail était pour eux la chose la plus logique du monde. Ils arrivaient au studio, toujours à l’heure et se présentaient devant l’appareil photo avec un sérieux et une fierté qui étaient particulièrement touchants. Des trois, les Américains étaient le groupe le plus imprévisible. En dépit de nos recommandations, quelques-uns arrivèrent aux séances changés de pied en cap, rasés de frais et parfois même dans leurs costumes du dimanche, convaincus de faire leur premier pas vers Hollywood. » (Worlds in a Small Room).
Dans les années 1960, I. Penn retravaille ses séries en expérimentant une nouvelle technique de tirage. Si celle des années 1950 consiste en un tirage gélatino-argentique, celle de la décennie suivante vire au platine. La différence tient dans la captation des particules de lumière. Dans le premier cas, elles sont suspendues dans une émulsion de gélatine qui recouvre le support papier. Dans le second, elles sont absorbées dans les fibres du papier. Résultat: les tirages gélatino-argentiques font ressortir les contrastes de lumières, mettant en avant les tenues et les outils de travail. Tandis que le tirage au platine permet de se focaliser sur le sujet qui prend une dimension monumentale; les photographies sont plus expressives et déclinent une gamme de gris et noirs nuancée.
Certes, les modèles représentaient la classe des « petits métiers », avec des traits physioniques portant les stigmates de leur labeur. Mais, sous l’objectif d’Irving Penn, ils retrouvent une grandeur naturelle, une fierté humaine, qui n’a d’égale valeur que celle des icônes de mode et des personnalités culturelles de l’époque, qu’immortalisait en parallèle cet homme discret. Qui, selon Virginia Heckert, co-commissaire de l’exposition (conservatrice associée au département de photographies du J.P. Getty Museum), a « révolutionné la quête de l’autre sans pareil ».