Jusqu’au 21 février 2010
Musée du Montparnasse, 21, avenue du Maine 75015, 5€
A défaut de ne plus faire le contrepoids médiatique face à l’ouverture des Jeux Olympiques de Vancouver, Haïti reste sous les feux de la rampe artistique. Le musée du Montparnasse consacre une exposition incontournable qui rend hommage aux artistes haïtiens. Soixante-dix oeuvres retracent l’histoire de leur nation avec une vitalité qui laisse pantois. Comment l’un des peuples les plus pauvres au monde, peut-il exalter une telle force de vivre, en dépit de l’état permanent de capharnaeüm que subit l’île depuis le XVe siècle?
Bien avant le séisme du 12 janvier 2010, l’idée d’une exposition retraçant l’histoire de l’ancienne colonie européenne Saint-Domingue a germé dans l’esprit de Jean-Marie Drot (écrivain et réalisateur du documentaire Journal de voyage avec André Malraux à la recherche des arts du monde entier, 2009).
En décembre 1990, alors que le monde occidental s’apprête à célébrer la découverte des Amériques par Christophe Colomb « qui s’annonçait comme une célébration arrogante du Nouveau Monde par l’Europe occidentale », J.-M. Drot, en compagnie de son ami écrivain (et mentor de peintres haïtiens), Michel Monnin, se demande « si l’on ne pourrait pas donner pour une fois la parole à ceux qui ne l’ont jamais? A ceux dont les ancêtres (après l’extermination des Indiens Taïnos) ont été vendus, puis déportés d’Afrique vers les négriers? ».
C’est ainsi qu’une trentaine d’artistes haïtiens ont réalisé un panorama de l’histoire de leurs pays. Depuis la conquête des Espagnols jusqu’à l’indépendance de l’île (1804). Rebaptisée pour l’occasion de son nom amérindien, Haïti, par Jean-Jacques Dessaline.
Christophe Colomb débarque à Saint-Domingue le 25 décembre 1492 à bord de la Santa-Maria. Ses compatriotes ne s’embarrassent pas de civilités vis à vis de la population autochtone, qu’ils déciment purement et simplement. Quinze ans après l’arrivée des Espagnols, les estimations réduisent le million d’Indiens (Arawaks et Taïnos) natifs à quelque 6.000 âmes.
« Lorsque les Espagnols entraient dans les villages, ils immolaient à leur rage les vieillards, enfants et femmes, n’épargnant même pas celles qui étaient enceintes ou qui venaient d’accoucher. Ils leur ouvraient le ventre à coups de lances ou d’épées. Ils égorgeaient le peuple, comme un troupeau de moutons et pariaient à qui couperait le mieux un homme en deux d’un coup de taille ou à qui enlèverait le plus adroitement ses entrailles » écrivait Bartolomé de Las Casas (1472-1566).
Et pour les rares survivants, ils étaient obligés d’abdiquer leur culte pour embrasser la religion catholique.
Serge Moléon-Blaise, Freddy Chérasard illustrent ce premier pan, d’autant plus dramatique, de l’histoire haïtienne que chaque Haïtien d’aujourd’hui s’imagine qu’avant l’arrivée des colons, leur île baignait dans une félicité toute paradisiaque. Ou animaux et humains vivaient en paix, comme l’illustrent dans un style naïf Wilson Anacréon et Edouard Jean.
Sous Bonarparte (1769-1821), les Français ont remplacé les Espagnols pour dominer le commerce du sucre, de l’indigo et, à partir de 1726, du café. La colonisation française est notamment illustrée par Franz Zéphirin et Eddy Jacques.
Cependant, après la déclaration d’indépendance, qui fait d’Haïti la première nation noire à conquérir sa liberté avec les armes à la main, l’île n’a pas su s’organiser. Luttes internes, Mulâtres contre Noirs et inversement, ruinent son quotidien. Il n’en faut pas moins pour que les vaillants Marines débarquent à Port-au-Prince pour remettre de l’ordre. Et occupent l’île de 1915 à 1934.
Depuis leur départ, corruption d’Etat, insurrection militaire et anarchie n’ont fait qu’affaiblir un peu plus l’île. De nouveau anéantie par le séisme de janvier 2010.
Et pourtant, les artistes continuent de peindre, dans une richesse chromatique inégalée, le destin tragique de leur pays. Puissance substantielle que les Haïtiens tirent de leur double héritage de l’Afrique-Mère et des nations améridiennes? Comme le disait André Breton en 1945 lors d’une conférence à l’Institut Français de Port-au-Prince: « L’homme haïtien est resté en contact étroit avec les forces naturelles. Le passant toujours pressé des grandes villes américaines ou européennes est une dupe perpétuelle. Il ne sait plus d’où il vient et encore moins où il va… »