Encore plus oublié de la postérité que son contemporain Renoir (1841-1919), Ferdinand Pelez (1848-1913) revient sur les cimaises du Petit Palais, tandis que le Grand Palais rend hommage au maître post-impressionniste. Est-ce à dire que l’un entre par la grande porte et l’autre par la petite? Certes, l’un peint les grands de ce monde et l’autre le Paris populaire. La touche floue et pastelle de Renoir s’oppose à celle nette et sombre de Pelez. Le premier est autodidacte, le second a suivi une formation académique. Mais les deux hommes se rejoignent dans leur intérêt pour la figure humaine, en particulier la femme et les enfants.
Comme pour Renoir, les années 1880 sont une date charnière pour Ferdinand Emmanuel Pelez de Cordova, dont l’enfance parisienne a été baignée par l’influence des livres romantiques que son père Raymond illustre.
Après sa réussite à l’Ecole des Beaux-Arts, où Ferdinand suit les cours du prisé Alexandre Cabanel (1823-1889), le jeune homme s’inscrit à l’Académie Julian. Dès 1875, l’Etat lui achète Les Tireurs d’arc, puis La Mort de l’empereur Commode (1879) – sa dernière oeuvre historique. Car la critique, forte de son nouveau pouvoir de lancement (ou de piétinement) de carrières artistiques, devient indifférente à ce genre pictural.
1880 marque ainsi un tournant irréversible dans l’oeuvre de Pelez. Le peintre se consacre dorénavant aux scènes de la vie moderne, dans un style naturaliste – nouvelle vogue qui envahit le Salon comme l’observe Zola. Mais au lieu de présenter les bals, les déjeuners champêtres, les portraits de la bourgeoisie, F. Pelez s’intéresse aux laissés-pour-compte de la Belle Epoque. Le peintre s’attache aux anonymes dont les anecdotes tragiques font les choux gras des rubriques de faits divers. Dans un style épuré, l’artiste représente ces anti-héros dans un décor neutre, sans profondeur, forçant le regard à se concentrer sur la figure humaine, misérable. Ferdinand Pelez connaît un premier succès public avec Au lavoir (1880), représentant des femmes s’exténuant à la lessive, et son Petit marchand de mouron (vers 1880). Si les enfants sont d’abord représentés tout sourire, la misère de leur condition prend rapidement le dessus, grâce à une gamme chromatique volontairement restreinte et une pose frontale qui trahit la tristesse de leur regard (Petit marchand de citrons, vers 1895).
Dix ans après l’écrasement de la Commune, l’opposition des classes s’insinue dans La Bouchée de pain (1904). Commandée par le ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, l’oeuvre, initialement axée sur le Travail – valeur républicaine par excellence-, débouche sur la représentation d’une file de miséreux, qui se rendent au réfectoire des oubliés de l’opulence économique. Tout aussi populaires et humbles sont les Saltimbanques (1888) réunis au sein d’une oeuvre monumentale. Les personnages sont représentés côte à côte, grandeur nature, regardant directement le spectateur. Composition que l’on retrouve dans L’Humanité! (1896), les forains étant remplacés par une foule d’anonymes dans un jardin public, avec au centre un Christ sur croix. Signe qu’à l’avènement de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, la place du religieux occupe encore les esprits! Cette oeuvre, en latence depuis cinq ans, devait marquer sur la scène artistique le retour du peintre, qui avait cessé de présenter ses oeuvres de manière régulière aux Salons. Ne trouvant pas preneur, l’oeuvre est détruite. Subsistent des études et une photographie de la composition, retrouvée dans son atelier.
En fin de carrière, Ferdinand Pelez se tourne vers l’univers précieux de l’Opéra. Là encore, au lieu de représenter l’ostensible luxe des spectateurs, l’artiste préfère montrer l’envers du décor. Il peint les danseuses de ballet anonymes, jeunes apprenties d’origine modeste, échangeant leurs tristes vêtements de ville pour enfiler leur tutu nacré. Un travail que l’artiste exécute sur plusieurs années et qui tend à devenir de plus en plus monochrome, le décor des loges se confondant avec la chair des corps dénudés.
Promu officier de la Légion d’Honneur (1910), F. Pelez, usé, décède trois ans après à son domicile (62, bd de Clichy); il est enterré au cimetière du Père Lachaise. Il laisse une oeuvre aux sujets marginaux, traitée avec une grande rigueur académique, qui allie étrangement chaleur humaine et distance plastique. Une belle découverte ou comme dirait les Surréalistes, une formidable trouvaille!