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De l’Académie royale à l’Ecole des Beaux-Arts de Paris

L’école de la liberté – Etre artiste à Paris, 1648 – 1817

Jusqu’au 10 janvier 2010

Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, 13 quai Malaquais 75006, 4€

Sous l’impulsion de Charles Le Brun, peintre officiel de la Cour, Louis XIV crée l’Académie Royale de Peinture et de Sculpture (1648). Pour y être reçus, les artistes devaient présenter un morceau d’agrément, qui, une fois accepté les autorise à exposer dans les Salons, puis un morceau de réception. Ce sont ces dernières que l’actuelle Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris expose aujourd’hui. Si les oeuvres ne sont pas toutes le meilleur opus des artistes « résidents », tels Fragonard, David, Girodet, Hubert Robert, Houdon -, elles n’en restent pas moins impressionnantes. Et posent d’emblée la question de la liberté de l’artiste. Pied de nez à l’histoire, ces artistes, chaperonnés par Louis XIV, seront de fervents révolutionnaires!

Entrer à l’Académie royale signifie être protégé par le roi contre la puissante corporation de Saint-Luc et se distinguer de l’artisan. Ce statut place l’artiste sous la « bonne ville » de Paris (qualification honorable donnée par les rois de France à certaines villes plus ou moins considérables). Il perçoit une pension qui lui permet de créer sans avoir le souci de la commercialisation de ses oeuvres. En échange, les « nobles » peintres et sculpteurs créent une école et un musée de l’art français, abrité au sein du Louvre et enrichi des oeuvres qu’ils produisent.

L’exposition s’ouvre sur la galerie de portraits et d’autoportraits gravés (Louis XIV étant féru de gravures qu’il utilise pour sa propagande politique, les graveurs entrent à l’Académie Royale en 1655), réalisés par Charles Le Brun et Largillière. Ils se représentent avec les attributs de l’artiste de l’époque: perruque, costume de gentilhomme, chevalet et panache de leur attitude. Pourtant pointe déjà un souffle d’ironie comme le suggère le buste d’Augustin Pajou, tiré du portrait d’Hubert Robert, un brin débraillé avec sa chemise ouverte.
Parallèlement, les artistes célèbrent Paris, ses monuments et ses rues, qui représentent pour eux la capitale des arts.

De manière surprenante, l’autoritaire Louis XIV laisse les artistes se moquer de leur représentation à double tranchant du monarque. Ainsi, le graveur Jean Lepautre représente-t-il Alexandre le Grand – auquel s’identifie Louis XIV – dans trois gravures dictintes, toujours alité: à sa naissance, lorsqu’il boit une potion concoctée par un médecin accusé de vouloir l’empoisonner, et sur son lit de mort. Trois temps qui ironisent le lever, déjeuner et coucher du roi.

Un peu plus loin, Louis XIV est représenté par René-Antoine Houasse, en Hercule – jugé balaud (il en avait plus dans les bras que dans la tête) – terrassant l’hydre de Lerne. Le monstre marin multicéphale répandait un venin toxique, dont l’odeur empoisonnait les mortels. Dès que Hercule tabasse une tête avec sa massue, une autre repousse. L’hydre enroule sa queue autour de son prisonnier, qui se fait piquer au pied par une aussi petite bête qu’un crabe! Le malheureux Musclor doit recourir à l’aide de son neveu Iolas pour lui sauver la peau: celui-ci réalise qu’il faut brûler le tronc des têtes coupées de l’hydre pour empêcher qu’elles ne repoussent. Ce qui permet à Hercule de remporter sa seconde épreuve.
Louis XIV finit par réaliser que « ses » artistes deviennent un peu trop indépendants et ceux qui discutent sa tutelle sont renvoyés. Comme le graveur Abraham Bosse ou encore les Protestants (seuls les peintres d’Histoire étaient autorisés au sein de l’Académie, or qui dit Histoire, dit thème mythologique et biblique). Du moins, officiellement. Dans la pratique, quelques femmes (autour de quatre) et Protestants étaient toujours accueillis. Car, selon Anne-Marie Garcia, co-commissaire de l’exposition: « sans femme, il n’y a pas d’art ». Certaines vont même jusqu’à poser (les modèles étaient traditionnellement masculins) comme le représente la gravure de Jean-Jacques Flipart.

A la mort de Louis XIV, les artistes se font l’éloge du libertinage et des fêtes païennes.
Jacques-Louis David interprète le mythe d’Erasistrate découvrant la cause de la maladie d’Antiochus. Le médecin comprend que le mal dont souffre le fils du roi est son amour pour la seconde épouse de son père. David reçoit le Grand Prix de Peinture pour cette oeuvre (1774) alors qu’elle n’est pas sa plus brillante, selon Emmanuel Schwartz, co-commissaire de l’exposition (« les fesses de la servante ne sont pas assez travaillées »!). L’artiste est furieux car il aurait fait l’objet d’une campagne de trucage qui l’aurait empêché de gagner pendant plusieurs années de suite le Prix de Rome, et quand il le remporte enfin, il ne le mérite pas ! Ce qui explique en partie pourquoi David vote pour la dissolution de l’Académie (1793) lors du tourbillon révolutionnaire.

Les oeuvres présentées au premier étage se caractérisent par leur légèreté, l’absence de brillance formelle, qui révèle l’esprit frondeur des artistes parisiens. Même Fragonard et Natoire représentent les sujets bibliques avec une once de libertinage.
Les toiles reflètent l’influence de la philosophie des Lumières. Des artistes comme Houdon, Hubert Robert, Maurice-Quentin De La Tour s’abreuvent des écrits de Montesquieu, Voltaire et Diderot.

La dernière partie de l’exposition montre comment les artistes apprennent à individualiser la représentation du corps humain (cf. le Torse en Hamlet de François Désoria, 1786). Paris attire les âmes démocratiques et artistiques. L’Ecole des Beaux-Arts ne représente plus l’esprit frondeur parisien mais se veut rassembleur de la Nation et s’ouvre à toutes les catégories sociales. Mais, bientôt, l’ambitieux Napoléon entre en scène et impose ses diktats à la production artistique…

Une brillante exposition qui met en valeur des artistes qui ont permis d’affirmer que le XVIIe siècle a représenté l’âge d’or de la peinture française.

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