Recherche et design prospectif sont au coeur de « Paris / Design en mutation », présentée à l’Espace Fondation EDF, sur une initiative de la Mairie de Paris. L’exposition met en exergue les travaux de onze designers parisiens dont les préoccupations esthétiques n’ont d’égale que leur impact environnemental. Maîtrise des énergies et nouvelles manières de concevoir nos modes de vie sont la clé du design de demain.
Se focalisant sur le domaine de l’habitat – « métaphore du monde » selon Michel Bouisson, commissaire de l’exposition -, les oeuvres révèlent les six dernières années de recherches d’une nouvelle génération de designers, qui ont intégré dans leur réflexion l’amorce de la révolution écologique et celle, déjà bien entamée, du numérique.
Mathieu Lehanneur (né en 1974) met en relation le corps et l’habitat. Il inverse le processus usuel d’adaptation du corps à l’environnement. Dans son programme Eléments, c’est la lumière, la qualité de l’air, l’espace sonore, la température corporelle qui s’adaptent aux besoins de l’homme. Ainsi, Bel Air filtre l’air par les plantes. O génère de l’oxygène pur dans l’habitat. Q diffuse du quinton (sérum bienfaisant) au passage d’un individu. dB se déplace vers la source sonore trop élévée pour en réduire la nuisance en produisant un bruit blanc et C° émet une chaleur localisée par infrarouges en direction du corps qui en a besoin.
Jean-Marie Massaud (né en 1966) s’intéresse aux conséquences du tourisme et notamment à la dénaturation des sites en raison des complexes hôteliers. Il propose à la place de parcourir le monde dans son Manned Cloud – un hôtel dirigeable de 520.000 m3 en forme de baleine, comprenant restaurant, lounge, bibliothèque, salle de sport, terrasses, chambres pour 40 passagers et 15 membres d’équipage. L’Office National d’Etudes et de Recherche Aérospatiale est partenaire scientifique de ce projet. Néanmoins, deux points soulèvent question. Il n’est pas précisé si l’hôtel dirigeable rejette du CO2 dans l’atmosphère. Et quel est l’impact réel d’une telle installation en terme environnemental puisqu’elle ne peut inclure que 55 personnes – est-ce à dire que les milliers autres touristes continueront de polluer la planète à défaut de pouvoir grimper dans la nacelle? Jérôme Garzon (né en 1981) et Fred Sionis (né en 1983), au sein de l’agence machin machin (!) s’inspirent des cultures du monde pour créer des dispensateurs d’air frais. FraîchePOT reprend le principe du réfrigérateur africain qui génère du froid par sudation. L’idée est bonne mais le résultat est légèrement incombrant. FraîcheTABLO est un cadre de porte en forme de moucharabieh, permettant d’entrouvrir sa porte en toute sécurité pour générer un courant d’air. Reste le problème sonore de l’environnement extérieur… Matali Crasset (née en 1965) est réputée sur la scène internationale (elle a travaillé pendant cinq ans avec Philippe Starck avant de monter sa propre société) pour sa réflexion à contre-courant sur nos modes de vie, qu’elle cherche à réinventer. Elle présente ici le programme Another Logic of…, une autre manière de penser la lumière (Another Logic of Light), l’habitat, le rituel des repas. Ainsi dans Another Logic of Eating Ritual, il ne s’agit plus de préparer le repas, confiné(e) dans sa cuisine mais de partager ce moment en intégrant une planche spéciale préparation à la table à manger. Au-dessus de laquelle, un lustre interactif change de couleur en fonction de celle des mets ou de la vaisselle. « L’idée est de magnifier le moment du repas », confie Matali. Alors que dans nos sociétés fast-food, ce temps en famille n’est souvent plus respecté, la designer souhaite lui redonner de la valeur, le remettre au coeur des échanges humains en invitant les autres membres à participer à la préparation du repas ou, du moins, à prendre la mesure du travail effectué par le/la chef cuisinier!
De fait, c’est toute la logique de l’habitat que Matali réinvente dans une animation vidéo qu’elle a spécialement imaginée pour l’exposition. Ainsi du toit de la maison qui forme des ridules pour jouer le rôle de gouttière et récupérer l’eau en cas de pluie, d’une installation lumineuse qui capte non pas la lumière du soleil mais celle de la lune pour nous rappeler que l’énergie n’est pas constante…
Idée que l’on retrouve dans la Multiprise coupe-veille du groupe EDF R&D Design. Elle rend visible les consommations superflues et éteint automatiquement les appareils restés allumés inutilement. Le Puzzle E se compose d’objets qui permettent de produire de l’électricité chez soi à partir du vent et du soleil. L’horloge Watt’Time permet de suivre en temps réel la consommation électrique du foyer, celle du quartier et même du pays, pour ne pas surexploiter les heures pleines.
Avec humour et imagination, cette jeune génération de designers s’inscrit, avec les données d’aujourd’hui, légèrement en avance sur son temps, pour construire un monde qui fait la nécessaire chasse aux gaspillages énergétiques, repense la place de l’homme dans son environnement, réinterprète des techniques ou des valeurs ancestrales à la sauce contemporaine. Voilà de quoi redonner confiance en l’avenir par ces temps de morosité planétaire…