Jusqu’au 10 janvier 2010
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson 75116, 9€
Non, ce n’est pas morbide! Contre toute attente, l’exposition « Deadline« , présentée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris est loin d’être éthiquement douteuse. Si elle rassemble bien une sélection de réalisations de fin de vie d’artistes, leurs oeuvres sont portées par une intensité hors du commun qui compense le voile sombre entourant ces personnes malades ou tout simplement âgées, aujourd’hui disparues. Mot tabou dans la civilisation occidentale, la mort est ici transcendée grâce à l’art.
Ce n’est que depuis une trentaine d’années que les dernières oeuvres des artistes sont considérées comme importantes du point de vue de l’histoire de l’art. Témoignant souvent d’un apaisement, d’une paix intérieure, elles étaient jugées moins intéressantes que les oeuvres radicales des débuts de carrière.
L’exposition prouve le contraire. Tout comme la précédente exposition sur de Chirico: « Elle montrait pour la première fois la capacité d’un grand artiste, initiateur à lui seul de presque toute la peinture surréaliste, à réinventer à plus de quatre-vingts ans un vocabulaire pictural avec, dans son cas, une maestria à la mesure de son dédain », écrit Fabrice Hergott (directeur du musée) dans l’avant-propos du catalogue de l’exposition.
« Deadline » devait initialement s’articuler autour de la présentation des trois dernières années de Hans Hartung. Au final, elle comprend une sélection de douze artistes, morts au cours des vingt dernières années, et choisis pour avoir intégrés dans leurs travaux ultimes la conscience de leur proche fin.
Certains se sont sentis libérés comme Hartung (1904-1989) qui se lance dans les grands formats (3 x 5 m.) et s’octroie une palette chromatique éclatante. A l’instar de Willem de Kooning (1904-1997) qui en profite également pour épurer ses compositions.
Robert Mapplethorne (1946-1989) se représente avec un crâne, telle une vanité, et ailleurs sublime le corps de statues viriles, érotisées, qu’il cadre de manière à mettre en évidence le contraste entre la « chair » de la statue et le fond noir.
Chen Zhen (1955-2000) renouvelle l’art du paysage à partir de la représentation d’organes humaines, confrontant l’approche douce de la médecine chinoise à sa pendante matérialisée, froide, occidentale. Il inverse également une vision commune en montrant ce qui est normalement intérieur à l’extérieur.
Absalon (1964-1993) et James Lee Byars (1932-1997) imaginent la mise en scène de leur propre déchéance (le premier) jusqu’à leur dernier souffle (le second).
Martin Kippenberger (1953-1997) se portraiture en survivant du Radeau de la Méduse (Géricault).
Gilles Aillaud (1928-2005) qui peignait essentiellement des animaux en captivité les libère dans un vaste horizon.
Hannah Villiger (1951-1997), qui photographiait son corps nu agrandi, dissimule sa silhouette décharnée sous des tissus-linceuls, se concentrant sur les formes et la couleur des matières textiles, pour créer une sorte de bouquet floral sensuel.
Anticipation de l’au-delà ou de la ruine corporelle à l’aube de leur mort – Fabrice Hergott cite Chamfort qui disait que la vieillesse est l’enfer des femmes et un peu celles des hommes aussi -, ces oeuvres représentent une tentative artistique de se libérer de la conscience aiguë de sa propre disparition.
Loin de manquer d’énergie créatrice, ces oeuvres permettent aux artistes de se jouer de la mort. En influençant, une dernière fois, l’histoire de l’art.