Jusqu’au 27 juin 2010
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Exposition-CRIME-ET-CHATIMENT—MUSEE-CCRIM.htm]
Musée d’Orsay, niveau 0, grand espace d’exposition, 1, rue de la Légion-d’Honneur 75007, 9,50€
Alors que Madame défraie la chronique avec son dernier opus, Le conflit, la femme et la mère (Flammarion, 2010), Monsieur, Robert Badinter, ancien garde des Seaux et ministre de la Justice, organise une exposition inédite au musée d’Orsay sur le crime et le châtiment. Le couple n’a visiblement pas peur de remettre la société en cause et de créer la polémique!
On doit à Robert Badinter l’abolition de la peine de mort en France le 30 septembre 1981. Après deux siècles de débats passionnés. Au lendemain de la Révolution, en 1790, Le Peletier de Saint Fargeau, Conseiller au Parlement de Paris, propose de remplacer la peine capitale par l’emprisonnement. Mais, il vote pour la mort de Louis XVI en 1793. Ce qui lui vaut d’être assassiné le soir même par un ancien garde du corps du Roi.
La période des Lumières déstabilise néanmoins le bien-fondé de la peine capitale. Comment justifier sa logique alors qu’elle est administrée non plus par la main de Dieu via l’autorité royale mais de l’homme à l’homme? Comment un homme, naturellement imparfait, peut-il juger de l’action d’un semblable?
« Mais qu’est-ce donc que l’exécution capitale, sinon le plus prémédité des meutres auquel aucun forfait criminel, si calculé soit-il, ne peut être comparé », avançait Albert Camus.
Robert Badinter a longtemps étudié la Justice. « Paradoxalement, j’éprouvais le sentiment, au fil des années, que l’étude des constitutions, lois, jugements, l’analyse des procédures et des rites, de l’immense domaine de l’anthropologie judiciaire recouvraient une sorte d’énigme dont je ne découvrais pas le sens caché. Qu’est-ce que le crime, au-delà de ses définitions légales? Pourquoi l’homme est-il toujours et partout un être criminel? Que signifient ces châtiments aux formes diverses, que la société inflige à ceux qu’elle condamne? », se demande-t-il (cf. préambule du catalogue de l’exposition).
C’est pour répondre à l’ensemble de ces questions qu’est née « Crime et châtiment ». Soit, étudier l’art pour comprendre l’homme criminel et la société punitive dans une période clé – 1800-1930. Car, dans ce temps, trois facteurs entrent en jeu. Politiquement, la France connaît deux empires, deux monarchies, trois républiques. Inversement, la société civile reste stable. Quant à l’Art, il connaît une révolution moderne. « Crime et châtiment », dont le titre est emprunté au chef-d’oeuvre de Dostoïevski, peuvent ainsi être étudiés sur une longue période de stabilité de la justice mais durant laquelle les artistes reflètent des visions radicalement différentes.
Rien de commun, en effet, entre les premières oeuvres présentées, telle celle de Gustave Moreau sur le mythe de Caïn, qui représente le premier crime de l’humanité, et la toile de David Lynch, qui clôt l’exposition, Do you want to know what I really think? (2003).
Entre les oeuvres du Salon de 1829 et celles du post-modernistes, le crime s’est vu approprié par la grande littérature (Shelley, Shakespeare, V. Hugo, Bram Stoker, Sade, Baudelaire, Camus). La petite – naissance de la presse à grand tirage, tel Le Petit Journal en 1866, qui se nourrit de faits divers jusque-à colportés à travers la France sur de minces feuillets -. Sans oublier le cinéma (Frankenstein de James Whales, 1935; M le Maudit de Fritz Lang, 1935; Psychose d’A. Hitchcock, 1960).
Quand la science se croyait omnipotente, elle pensait pouvoir déterminer les caractéristiques physiologiques du criminel: front fuyant, prognathisme [saillie en avant des mâchoires]… Critères qu’appliquent Degas à sa petite danseuse, transformant son petit Rat de l’opéra en une prostituée, destiné à propager les mauvais germes dans la bonne société des amateurs de ballet.
Deuxième composante de l’exposition, moins développée en numéraire mais avec des oeuvres qui glacent le dos, le châtiment que la société fait subir aux coupables: guillotine, photographies de prison, instrument de torture légal (la machine de Kafka). Au-delà du crime surgit l’éternelle question du Mal…
Une exposition qui réveille les consciences. Tant par rapport aux problèmes que soulève la nature d’un crime et par conséquent la manière la plus légitime de le condamner. Si en France la peine capitale a été abolie, reste le dilemmne du crime dit passionnel ou compulsif – relève-t-il de l’expertise psychiatrique ou de l’enfermement carcéral?
Qu’au regard de l’existence de la peine capitale, toujours en vigueur dans de nombreux pays. Dont certains qui se veulent un modèle de démocratie. La vue de l’oeuvre de Warhol, Big electric chair (1967/68) aussi froide et électrique que son objet, ne peut qu’interroger les états d’âme.
A la thématique du crime, l’art apporte une réponse esthétique aussi violente que son sujet. Artistes, fous, criminels – la frontière entre les genres se révèle si perméable, conclut l’exposition… Quand je vous disais que les Badinter n’avaient pas peur de la polémique!
La scénographie d’habitude soignée d’Hubert Le Gall fait preuve ici d’un sérieux problème d’éclairage: entre les luminaires et la couleur carmin des murs, certaines oeuvres ne renvoient que des reflets et ne peuvent être regardées, ni frontalement, ni de biais.
A noter: Autour de l’exposition, pour les 15-25 ans, une mini-fiction policière Peint au couteau de Malika Ferdjoukh, composée de cinq épisodes, est téléchargeable gratuitement sur le site du musée d’Orsay.