La collection Motais de Narbonne – Tableaux français et italiens des XVIIe et XVIIIe siècles
Jusqu’au 21 juin 2010
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee-MUSEE-DU-LOUVRE–tarif-journee–MULO1.htm]
Musée du Louvre, Aile Sully, salles 20 à 23, 75001, 9,50€
Suite au don des Motais de Narbonne de deux tableaux de Claude Déruet et de Domenica Maria Viani, le musée du Louvre organise la présentation d’une partie de la riche collection du couple parisien, amateur de peinture ancienne. Leur ère de prédilection: les XVIIe et XVIIIe siècles. Depuis 1980, Héléna et Guy Motais de Narbonne collectionnent les tableaux français et italiens baroques, aux sujets principalement religieux et mythologiques. Mais loin de sélectionner des oeuvres « assommantes », ils savent mettre en avant l’originalité de leurs acquisitions. Sorte d’apprentissage du regard pour le plus grand plaisir des visiteurs.
Le Louvre possède à la fois la vocation d’éduquer le public – surtout lorsque l’école omet d’enseigner l’histoire de l’art dans le parcours généraliste – et de susciter des passions. C’est ainsi qu’est née la collection des Motais de Narbonne, familiers du musée. Pour constituer une collection cohérente, en dehors des moyens financiers, encore faut-il trouver un créneau sur le marché de l’art…
Les Motais de Narbonne – lui, ancien directeur et administrateur général de l’Ona (Omnium Nord-Africain), elle, toute dédiée à la lutte contre l’analphabétisme – avaient le sentiment que la peinture française des XVIIe et XVIIIe siècles n’étaient pas appréciée à sa juste valeur. Comme à cette époque, beaucoup de peintres français s’installaient en Italie (François de Nomé, Jean Lemaire, Charles Mellin, Nicolas Régnier, Pierre Subleyras, sans oublier Nicolas Poussin et Simon Vouet, tous deux absents de leur collection). De fil en aiguille, ils ont ainsi rassemblé des oeuvres des deux côtés des Alpes.
« En fin de compte, il est passionnant d’établir des relations, de mesurer les influences entre peintres, écoles, styles, courants de pensée, sensibilités artistiques… Et ces correspondances sont particulièrement riches dans la France et l’Italie des XVIIe et XVIIIe siècles. Nous laissons de côté les Pays-Bas, les Flandres, l’Espagne, l’Allemagne. Mais il faut bien choisir. Et c’est sans doute dans le choix que se constitue une collection », se justifient les Motais de Narbonne.
Pour eux, même si ces peintures sont inévitablement anciennes, car peintes il y a trois ou quatre cent ans, ils sont loin de les considérer comme une « peinture figée dans des représentations convenues, sans innovation et sans surprise ».
Prenons l’exemple du Sacrifice d’Iphigénie de Gabriel François Doyen (1726-1806). Le peintre traite ici d’un thème on ne peut plus classique. Mais sa composition et les couleurs sont particulièrement audacieuses.
Iphigénie a beau être le sujet principal de ce thème biblique, l’artiste donne la première place au viril et belliqueux roi Agamemnon, qui préfère sacrifier sa fille à la défaite de son peuple. Selon Anne Leclair, historienne de l’art, « c’est lui le véritable héros, car il représente un modèle d’abnégation, un exemplum virtutis, propre à élever l’âme ».
De fait, Iphigénie est relayée dans la partie supérieure du tableau, dans les bras de la déesse Artémis, qui sensible à l’innocence de la jeune fille, finira par la sauver en plaçant sur l’autel le corps d’une biche.
Pour équilibrer la composition entre forces terrestres masculines (Agamemnon et le bourreau Calchas) et féminines (Iphigénie, passive, en attente de son destin, et sa mère Clytemnestre, évanouie dans les bras de sa servante), G. F. Doyen introduit au pied de l’autel la silhouette d’une jeune fille, vue de dos, gracieusement penchée en arrière.
Toute la scène est plongée dans le clair-obscur, dans une harmonie de teintes crémeuses, qui tranche avec le bleu virginal de la robe d’Iphigénie, la blancheur de la robe maternelle et le carmin du manteau paternel, synonyme de sacrifice.
Le second aspect de cette collection pointue consiste à mettre en avant des oeuvres dont la valeur esthétique est réhaussée par la prise en compte du contexte de sa création. « ‘La délectation’ dont parle Poussin », citent les Motais de Narbonne, « n’est-elle pas dans la rencontre de l’émotion spontanée et de l’évocation d’un cadre de références? »
Ainsi peut-on évoquer Le Prêtre Joshuah cédant les trésors du Temple de Jérusalem à Titus de François Boucher (1703-1770).
Le peintre rococo français figurait parmi les artistes sélectionnés pour illustrer la galerie de Choisy avec quatre sujets d’Histoire tirés des vies des empereurs Auguste, Trajan, Marc-Aurèle et Titus. Si les oeuvres correspondantes de Carle Vanloo, et Joseph-Marie Vien ont été exposées au Salon de 1765, il ne subsiste aucune trace de celle de Boucher. Hormis Le Prêtre Joshuah… dont le sujet ne correspond aucunement à l’histoire de Titus! Pour le chercheur Alastair Laing, cela est la preuve que l’ensemble du projet répugnait à Boucher, qui n’avait pas l’intention de se laisser dicter ce qu’il devait peindre. « Ce tableau est donc l’unique témoignage de sa participation au décor peint projeté pour la galerie Choisy, ce qui rend sa découverte d’autant plus passionnante ».
Enfin, citons Le Retour du fils prodigue de Domenico Maria Viani (1668-1711) que le couple de collectionneurs a légué au musée du Louvre avec la fascinante Bataille entre les Amazones et les Grecs de Claude Déruet (1588-1660).
L’historien de l’art Angelo Mazza constate que l’oeuvre de D. M. Viani « reflète en un certain sens les expériences menées par Giovanni Maria Viani, dans l’atelier duquel son fils Domenico Maria, put se former et développer ses inventions solennelles, avant de peindre les tableaux de grandes dimensions auxquels son nom reste attaché. […] Cet ensemble serait le fruit d’une collaboration intime entre le père et le fils ».
Une (re)découverte essentielle de deux siècles de peinture effectivement peu populaires dans l’esprit contemporain. L’ensemble des quarante-quatre oeuvres, sélectionnées par Stéphane Loire, commissaire de l’exposition, constitue pour Pierre Rosenberg la plus belle partie de la collection du couple amateur. Dans la préface du catalogue, l’Académicien invite le visiteur à sélectionner son oeuvre préférée. Pour Héléna Motais de Narbonne, il s’agit du personnage masculin, L’Apollon de Charles Mellin. Pour Guy Motais de Narbonne, le personnage féminin, La Madeleine pénitente de Jacques Blanchard (1600-1638).
Pour ma part, je sélectionnerais Saint Jean-Baptiste dans le désert de Nicolas Régnier (1588-1667), qui se distingue de la veine caravagesque en introduisant du profane dans une peinture sacrée. En effet, l’artiste délaisse la représentation de l’ermite aux côtes saillantes pour lui préfèrer le corps d’un adolescent, torse nu, dont la blancheur de la chair contraste avec un fond sombre et sans décor. Régnier dépeint avec magnificence la lourdeur du drapé pourpre qui tombe sur l’épaule diaphane du jeune saint – représenté traditionnellement depuis le XVe siècle en Italie avec l’index dressé et la bouche ouverte (vox clamantis in deserto). A l’inverse, avec une touche légère et douce, il parvient à rendre la vaporosité de la peau de bête – seul attribut de saint Jean-Baptise avec la croix derrière lui. L’artiste prend soin de rendre l’ombre portée des doigts repliés et la brillance de l’oeil du jeune homme. Ce qui rend d’autant plus touchant la maladresse avec laquelle il trace le contour de l’épaule gauche, proéminente, et la petitesse de son bras droit. Une oeuvre intense.