Artistes d’Abomey – Dialogue sur un royaume africain
Jusqu’au 31 janvier 2010
[fnac:http://plateforme.fnacspectacles.com/place-spectacle/manifestation/Musee—Exposition-BILLET-JUMELE-QUAI-BRANLY-JOUMU.htm]
Musée du quai Branly, Mezzanine (1er étage), quai Branly ou rue de l’Université 75007, 8,50€
Trois experts de l’art africain parviennent à ré-attribuer des objets cultes de l’ancien royaume du Danhomè (Bénin actuel) aux familles d’artistes qui les avaient créés. Ils exposent au musée du quai Branly le résultat de leur enquête, menée à Abomey en 2008. Un travail époustouflant pour des oeuvres somptueuses.
Pour une fois, la règle selon laquelle les artistes africains restent anonymes est contredite. Grâce au travail de Léonard Ahonon (conservateur du musée d’Abomey), Gaëlle Beaujean (commissaire de l’exposition) et Joseph Adandé (historien d’art), quatre-vingt objets issus des collections du musée du quai Branly ont, pour certains, retrouvé le patronyme de leurs créateurs.
Le Danhomè ou royaume d’Abomey du nom de sa capitale, s’est développé du XVIIe à la fin du XIXe siècle dans le centre et le sud de l’actuelle République du Bénin. Quatorze rois se sont succédés entre 1625 et 1900. La devise du pays étant de « faire le Danhomè toujours plus grand », chaque roi s’est attaché à pratiquer une politique expansionniste et à développer la puissance de son royaume. Y compris dans le domaine des arts, qui se révèlent prolixes.
Mécène, le roi pousse même parfois jusqu’à provoquer une guerre pour s’approprier un artiste. Les prisonniers de guerre, détenteurs d’un savoir d’une tribu étrangère (d’où la complexité pour retrouver qui a fait quoi), sont installés à proximité du palais du roi et doivent honorer les commandes de leur nouveau chef. Tous les artistes de cour bénéficient d’équipements, matériaux, domicile et soutiens divers pour n’avoir qu’à se concentrer sur leur tâche. Ces privilèges matériaux s’accompagnent néanmoins d’une privation de leur liberté de circulation.
Les artistes ont pour unique devoir de sublimer la puissance royale. Leurs oeuvres affichent les regalia (emblèmes royaux comme le lion, deux mains entourant un oeuf, tête de requin, etc.). Ils fabriquent des trônes, des tentures, des récades (insignes d’autorité royale de la forme d’un bâton coudé). Des bas-reliefs modelés pour les portes du palais, des vêtements et bijoux protecteurs comme le collier des Amazones, trempé dans du sang humain pour les protéger de la mort. Croyance mise à mal par la présence dans l’exposition d’un collier récupéré par un soldat français sur le corps d’une Amazone morte au combat.
« Les artistes sont les gardiens d’une mémoire imagée de l’histoire du Danhomè et de ses rois », commente Gaëlle Beaujean.
Ce sont les matériaux utilisés qui ont permis aux « envoyés spéciaux » d’attribuer une oeuvre, un savoir-faire à une famille. Ainsi, les Hountondji travaillent l’argent ou le cuivre tandis que les Yémadjé utilisent la soie et les cotons importés pour réaliser des tentures.
Ces objets somptueux sont parfois offerts en guise de cadeau diplomatique, telle cette tenture appliquée, cadeau du roi Ghézo à Napoléon III. Ils sont également redistribués au peuple de manière symbolique. Chaque année, le roi organise un défilé de ses biens précieux, lors du Djahouhou – hommage aux ancêtres royaux qui se déroulent sur plusieurs semaines. Ce qui permet à l’ensemble de la société de s’unir dans une coutume, derrière son roi. Autrement dit, d’accepter son asservissement dans une société hautement hiérarchisée (les prisonniers de guerre non artistes deviennent au choix: esclaves sur les terres du roi ou des dignataires, destinés aux négriers européens ou encore réservés pour les sacrifices humains).
A charge de revanche, le peuple a coutume de croire que le roi est lui-même jugé sur ses faits par ses ancêtres défunts, gardiens du respect des lois. Après le roi, la religion représente la deuxième caractéristique essentielle, sur laquelle repose l’organisation de la société danhoméenne. « Le culte sert à garantir la quiétude des hommes et la satisfaction de leur bonheur ici-bas », écrit Jérôme C. Alladaye (maître de conférences à l’Université d’Abomey-Calvi, Bénin), dans le catalogue de l’exposition.
Le roi Agadja (1711-1740) a du rendre ses ancêtres particulièrement fiers. Dans son ambition de commercer avec l’Occident, il a vaincu les royaumes cousins d’Allada et Sahè pour s’emparer de Ouidah (vers 1735) et s’octroyer un accès direct à l’Océan Atlantique. Récupérant au passage des prisonniers, futurs esclaves, il les échange aux Européens contre des tissus industriels et des métaux rares qui ont permis aux arts de cour de fleurir…
Point de morale en Histoire. Lorsque la France conquiert le royaume de Danhomè (le roi Béhanzin se rend en 1894), les officiers s’approprient illégalement des trésors royaux exotiques dont deux magnifiques statuettes de jumeaux yorubas (sculpture ibeji).
Des chefs-d’oeuvre que l’actuel Bénin aimerait bien récupérer, comme le disent en aparté deux officiels du pays: « Pour que les pièces reviennent, il faudrait qu’il y ait des musées comme le quai Branly chez nous [au Bénin]. Le problème est que nos hommes politiques sont trop occupés à s’enrichir personnellement pour s’occuper de culture… »
A voir également dans le pendant occidental de la Mezzanine: « Présence africaine – Une tribune, un mouvement, un réseau ».