L’empire des sens

De Boucher à Greuze

Jusqu’au 18 juillet 2021

Musée Cognac-Jay, 8 rue Elzévir, Paris 3e

#EmpireDesSens

François Boucher (1703-1770), Femme allongée vue de dos dit Le Sommeil, vers 1740. Pierre noire, sanguine et craie sur papier brun. Paris, Beaux-Arts © Beaux-arts de Paris / RMN-GP

Le musée Cognac-Jay, musée du 18e siècle fondé par le collectionneur et propriétaire de la Samaritaine Ernest Cognac, célèbre le 250e anniversaire de la mort de François Boucher (1703-1770). Avec « L’empire des sens », il explore l’amour à la limite du licite, celui exposé dans les boudoirs et cabinets privés. De Boucher (peintre de Louis XV) à Fragonard, l’exposition dévoile l’art érotique codé du 18e.

Cette exposition un brin licencieuse se déroule à travers l’ensemble du musée.

Le parcours évolue de la naissance du désir aux baisers et caresses, pour aboutir à l’assouvissement du plaisir charnel. Une dernière section, sous la forme d’un cabinet erotica, dévoile le grand jeu !

Au 18e siècle, l’amour investit pleinement les arts, qu’ils soient littéraires ou artistiques. Passions amoureuses et désirs charnels occupent les pensées des philosophes, romanciers, auteurs de pièces de théâtre et peintres. L’exposition entend montrer l’audace des créateurs pour évoquer la passion de la chair, sans en avoir l’air.

François Boucher (1703-1770), Vénus endormie, vers 1740. Huile sur toile. Moscou, musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine © The Pushkin State Museum of Fine Arts

François Boucher apprend dans l’atelier d’Antoine Watteau (1684-1721) à représenter les caractéristiques de l’amour : la sensualité de la nuque, la volupté du séant, l’exhibition de la nudité par un jeu de dévoilement du drapé. La chemise, sous-vêtement d’aujourd’hui, relevée devient source de tous les fantasmes. Dans Vénus endormie (vers 1740), Boucher parvient à montrer la déesse à la chair d’une blancheur virginale dans une position abandonnée dans son sommeil, un téton visible, un fessier bien rebondi, mais ses parties intimes cachées. Cette oeuvre en provenance du musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine, est montrée pour la première fois en France.

Quelques années plus tard, un des élèves de Boucher, Jean-Honoré Fragonard, illustre l’émoi d’une femme avec ses joues et fesses roses, dénudée par un amour ailé (La Chemise enlevée, vers 1770). Le cadre ovale donne l’impression à l’observateur de regarder la scène à travers une lorgnette – effet renforcé par le fait que l’oeuvre est mise sous verre !

François Boucher (1703-1770), L’Odalisque brune, 1745. Huile sur toile. Paris, musée du Louvre, département des Peintures © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Tony Querrec

La salle suivante présente une série d’Odalisques de Boucher, toutes plus sensuelles les unes que les autres. Son Odalisque brune (1745) est alanguie sur un sofa turc, aux drapés froissés suggestifs, dans un décor d’Orient fantasmé tandis que son Odalisque blonde dit La Rêveuse (vers 1751-52) repose sur le ventre dans un boudoir parisien. Dans les deux cas, on constate une mise en scène du fessier qui s’offre allègrement au regard ! Encore plus suggestif : un cadrage serré sur un pied nu à la carnation velouté qui déborde d’un lit au drap toujours froissé (Étude de pied, vers 1751-52).

On monte d’un cran dans l’expression du désir en passant à l’étage supérieur, qui accueille le visiteur par une carte du Paris licencieux, en particulier Rive Droite : sont indiqués sociétés grivoises, demeures des écrivains libertins, maisons closes, hôpital spécialisé dans le soin des maladies vénériennes, résidence des jeunes maîtresses de Louis XV, et ateliers de peintres.

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), La Volupté, 1765. Huile sur bois. Paris, collection particulière
© Thomas Hennocque

Ces derniers contournent l’interdiction de faire poser des femmes nues en recourant aux prostituées. Rien de mieux que l’étude d’après nature pour rendre vrai le rebondi des fesses ! Dans ces scènes, tout un langage codé est à l’oeuvre : baiser comme suspendu, caresse du menton – considérée comme érotique au 18e siècle – jambes entrelacées, symbole de l’acte sexuel. Incarné simplement ici par des visages de femme pamoisée. Si les artistes sont sensés recourir à des filles de joie, Jean-Baptiste Greuze (1725-1805) ose représenter sa propre femme (La Volupté, 1765). De son côté, Pierre-Antoine Baudouin, autre élève de Boucher, lie la jouissance à l’intellect (La Lecture, vers 1765).

François Boucher (1703-1770), Hercule et Omphale, vers 1732-1735. Huile sur toile. Moscou, Musée d’État des Beaux-Arts Pouchkine © The Pushkin State Museum of Fine Arts

On arrive ensuite au baiser fougueux d’Hercule et Omphale (musée Pouchkine, Moscou). Boucher se lâche ! Hercule prend à pleine main le sein d’Omphale, le désir de celle-ci est évoqué à travers les rubans de ses cheveux qui s’envolent et le pourpre de ses joues. Un amour dans le coin gauche du tableau se détourne de cette scène licencieuse alors que le spectateur semble la découvrir par hasard à cause d’un lever de drapé impromptu !

François Boucher (1703-1770), La Belle cuisinière, vers 1735, huile sur bois, Paris, musée Cognacq-Jay © Musée Cognacq-Jay / Paris Musées

Mais le désir charnel peut avoir des conséquences négatives quand celui-ci n’est pas partagé. Les oeufs cassés (La Belle cuisinière de Boucher) ou la cruche brisée, la bougie consumée, le lait renversé sont des symboles de la perte de virginité. Associés à l’image de la poule dévorée par un chat, les mains nouées sur le bas-ventre ou l’expression livide du visage (La cruche cassée de Greuze), ils indiquent une scène à l’issue malheureuse pour la jeune fille.

Enfin, le cabinet erotica lâche les dernières retenues et tout y est dévoilé : « parties honteuses », orgies, voyeurisme se déclinent en miniatures, peintures, sculptures, boîtes à secrets. Ces oeuvres circulent sous le manteau et ont été souvent détruites, ce qui les rend rares aujourd’hui.

Une exposition que l’on ne pourrait pas qualifiée d’osée au regard de la pornographie contemporaine mais épicée à souhait ! Les oeuvres célèbrent le plaisir tout en restant délicates. Une exposition précieuse, à l’image de ce musée parisien, magnifiquement entretenu.

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