Un film de Henri de Gerlache, Arte Editions, 52mn, 20€
Dans la collecion « Portrait d’artistes », Arte Editions s’intéressent au mystère Magritte. Qui se cache derrière cet homme à la fois grave et désinvolte, vivant entouré d’amis mais foncièrement solidaire? Et surtout, qui déteste le titre d’artiste ou de peintre alors qu’il a consacré sa vie à la peinture? Henri de Gerlache suit l’acteur belge, Charlie Dupont, alors que celui-ci part à la recherche de l’âme de Magritte.
La peinture est pour Magritte fondamentale. Car « elle sert à évoquer ce qui nous importe le plus c’est à dire, je crois, le mystère du monde ». Et ce mystère est tellement épais qu’il recquiert au peintre la production de plus de mille tableaux entre 1926 et 1967.
René Magritte naît en 1898 à Lessines (Wallonie). Petite ville provinciale dont l’artiste dira plus tard détester le folklore. Son père est représentant de commerce, sa mère est au foyer. Rien ne prédestinait Magritte à devenir un artiste internationalement reconnu. Qui plus est représentant du courant surréaliste en Belgique.
Pourtant, dès sa jeunesse, un trait de caractère perce. Entouré de ses frères cadets, René sévit en bande et terrorise le quartier avec ses farces.
Magritte est assez bon élève, mais il s’évade mentalement dès qu’il le peut pour rejoindre ses héros dont Fantomas, qu’il imitera plus tard en tant que prestidigitateur d’idées.
Extérieurement, rien ne laisse deviner « ce volcan d’idées en éruption » qui bouillonne en l’artiste. Si la littérature abonde sur son oeuvre, les images du personnage reflètent systématiquement une silhouette froide: un chapeau melon sous un costume trois pièces. Comme si l’artiste s’était évertué à rester méthodiquement anonyme. L’homme aime se tenir à distance du succès de ses tableaux, qui sur le tard se vendent plusieurs millions de dollars (Le Printemps atteint 2,4 millions de dollars). « Ca m’est tout à fait indifférent », commentera Magritte.
Vraiment? Le film revient sur une période méconnue de son oeuvre, la période dite « vache ». Elle dure quelques mois en 1948, alors que l’artiste se prépare pour une importante exposition à Paris. Magritte estime qu' »il est grand temps de secouer le bon goût parisien ». Il produit une série de vingt-quatre toiles, loin des joyeux nuages que tout le monde associe à son nom. Ces oeuvres, conservées aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique montrent une femme nue au collier, tête penchée contre son épaule, tirant la langue! Ou bien un homme, nu, de dos, tenant une fleur dans la main, la grimace aux lèvres. Ailleurs, un homme à trois énormes « pifs » soufflent dans cinq pipes. Un autre possède un fusil en guise de nez et porte un oeil au-dessus de son chapeau melon.
Pour justifier ces toiles rebelles, loin de l’image lisse de l’artiste petit bourgeois qu’affiche usuellement Magritte, certains experts, dont Michel Draguet (directeur du musée pré-cité ci-dessus), évoquent la frustration du peintre par rapport à une reconnaissance tardive de la critique parisienne. « C’est un moment de révolte comme il y en a eu dans la vie de Magritte. C’est un bourgeois anticonformiste qui a adopté une attitude volontairement très conformiste. Il a voulu revenir à une peinture qu’il avait abandonné avant l’abstraction. Revenir au plaisir de l’image, pas au sens poétique du terme mais dans sa matérialité, avec des couleurs criardes. C’est une façon pour lui de magnifier la peinture tout en la détruisant. Une tache de vie dans son oeuvre ».
A Paris, personne ne s’amuse du coup de gueule de Magritte. L’accueil est universalement négatif. Dépité, l’artiste revient à sa peinture d’antan, celle qui plaît tant à sa femme Georgette, avec qui il forme un couple uni, loin des passions éclectiques du surréalisme ambiant.
Le film va et vient de manière anti-chronologique sur les hauts et bas de la carrière de Magritte. Pour mieux explorer les nombreuses contradictions dans la personnalité du peintre. Comme celle, à la fin de sa vie, qui lui fait produire des images commerciales – Didier Ottinger, directeur adjoint du musée national d’Art moderne (Centre Pompidou) dit de Magritte qu’il est « LE producteur d’images efficaces du XXe siècle ». Mais ces images « faciles », créées à partir du banal sont de fait irréelles et expriment au contraire les profondeurs de l’inconscient – thème qui a toujours fasciné Magritte.
Un très bon documentaire. Seule la mise en scène autour de l’acteur paraît parfois légère, un tantinet ridicule. Et il aurait été appréciable de voir afficher le nom des oeuvres de Magritte qui sont dévoilées au cours du film.