Un film de Richard Dindo, 2003, 52mn. Arte Editions, 2010, 20€
« … Je veux dire dans ses tableaux, ces merveilleuses fenêtres ouvertes derrière lesquelles le ciel est bleu, comme les yeux de Matisse derrière ses lunettes. Si je pouvais lui faire dire ‘Nice, c’est moi' ». Le dernier DVD produit par Arte Editions, Aragon/Matisse, se résume en cette citation d’Aragon. Sur la voix de Jacques Weber, lisant le très beau texte de Louis Aragon, Henri Matisse, un roman (Gallimard, 1971), Richard Dindo filme le Nice de Matisse. Le chef de file des Fauvistes s’y installe en décembre 1917 pour y soigner une bronchite. Il s’y éteint 37 ans plus tard, sans avoir quitté la côte d’Azur. Et en y ayant peint les plus beaux des ciels méditerranéens.
Le poète et romancier Louis Aragon (1897-1982) rencontre Henri Matisse (1869-1954) en décembre 1941, au palais du Régina, où le peintre s’est installé dans deux appartements du troisième étage (novembre 1938). Ils offrent une vue sans égale sur la baie de Nice, depuis le haut de la colline de Cimiez.
Aragon à Matisse: « Monsieur, j’ai pensé faire de vous un roman ». Pourquoi un roman et non une biographie? « Afin qu’on me le pardonne », se justifie Aragon. Car ce roman, « il y a bien longtemps qu’il me glissait des mains ».
Pendant deux ans, les deux hommes se voient presque quotidiennement. Pourtant, Matisse reste un mystère pour le poète. Il ne livre, « délivre », son roman qu’en 1971, « ce très long, très pur livre ».
Inversement, lorsque Matisse croque au crayon le portrait d’Aragon, son modèle se retranche dans sa vie intérieure, impressionné. « J’étais alors un objet comme ses plantes vertes, ses coquillages, ses fauteuils, ses coloquintes, ses vases de la songerie, assis à une distance intimidante. Je voyais Matisse, le crayon de Matisse, partir, s’envoler pour retomber ».
Au fil du roman, Aragon livre ses réflexions sur l’art, l’histoire de l’art, l’art de Matisse:
« Le portrait est la prophétie de la photographie », « une acquisition très singulière de l’esprit humain, un moment précieux de l’art mais un moment. »
« On parle très peu du style des peintres, de la création d’un style par le peintre. C’est pourtant ici, plus encore que dans le langage écrit, que le style est l’artiste même ».
« Ce que Matisse exprime est dans la nature, la nature vue par lui, ce n’est pas une invention pour oublier la nature, c’est une invention pour la voir ». « Quand Matisse se promène, quand il voit, quand il lit, toujours la peinture intervient qu’il interroge. Bien sûr, il aime les fleurs, les femmes, les oiseaux. Mais ce n’est pas comme vous et moi, pas gratuitement. »
Le mystère, le rêve, la lumière. Trois termes qui pourraient cerner l’art de Matisse. « Dans mon art, j’ai tenté de créer un milieu cristallin pour l’esprit », confie Matisse à Aragon. « Cette limpidité nécessaire je l’ai trouvée en plusieurs lieux du monde: à New York, en Océanie [Tahiti], à Nice. »
Pour Aragon, Matisse symbolise « la liberté française qui n’est pareille à aucune autre ». « Quand la France était humiliée, et que Matisse peignait cette splendeur française. Le peintre du perpétuel espoir ». Personne mieux que Matisse n’incarne la synthèse de la France du Nord (le peintre est né au Cateau-Cambrésis, Nord-Pas-de-Calais) et de la France du Sud (sur ses cinquante années de peinture, il en passe vingt-cinq à Nice). « Synthèse de la raison et de la déraison, de l’imitation et de l’invention, de la brume et du soleil, de l’inspiration et de la réalité ».
Ode à Nice, ode à la nature, ode à l’oeil bleu de Matisse, de tout ce qu’il a vu, « le monde, l’histoire de toute la peinture, de toute la culture des siècles, la connaissance de l’expérience humaine sous tous les ciels […] Un oeil comme ça, ça ne s’invente pas » (Aragon).
Ce texte fin, empreint à la fois de lenteur poétique et d’une percutante vibration, est accompagné de la grandeur des oeuvres du maître de Cimiez.
Deux petites critiques par rapport au film: les images du « palais des mirages » où vivait Matisse sont quelque peu redondantes, en particulier la scène des fenêtres ouvertes. Leitmotiv qui finit par lasser. Par ailleurs, le titre des oeuvres de Matisse, lorsqu’elles défilent sur l’écran, n’est pas donné. Ni le lieu où le visiteur pourrait les admirer. Or, si ce film a bien un atout, c’est de donner envie d’aller les voir de son propre oeil (bleu).