Arts de la grande d’île d’Océanie dans les collections Barbier-Mueller
Mona Bismarck Foundation, 34 avenue de New York 75016 Paris
04 octobre – 25 novembre 2006
Rens.: 01 47 23 38 88
La Fondation Mona Bismarck – créée en 1986 pour favoriser les échanges culturels franco-américains – offre sur le modèle anglo-saxon une série d’expositions temporaires gratuites et de grande qualité. Ombres de Nouvelle-Guinée présente de rares pièces primitives de la collection genevoise des Barbier-Mueller.
Masques, tambours, crochets, idôles, bijoux, plats des différents peuples mélanésiens sont présentés sobrement pour mieux faire ressortir la puissance de ces objets sacrés.
Quatre-vingt pièces aussi rarissimes les uns que les autres offrent un panorama exhaustif des multiples inspirations artistiques de la grande île d’Océanie (462 840 km2).
Divisé entre la Papouasie Occidentale ou Irian Jaya – ancienne colonie hollandaise, aujourd’hui indonésienne – et la partie orientale – Papua New Guinea -, ce territoire des Mers du Sud reste encore relativement fermé au tourisme (hormis le district Massim et le cours inférieur du fleuve Sepik). Ce qui favorise la préservation des coutumes ancestrâles.
Selon la légende fondatrice, le crocodile – ancêtre primordial – a créé la terre ferme en battant l’eau de la queue et y en ajoutant sa salive. Ainsi la terre fut, et au milieu d’elle, le fleuve serpent aux mille méandres – long de 1100 km – qui abrite en ses creux de nombreuses populations, parlant plus de 80 langues différentes.
Les terres intérieures et la côte sud parlent les langues dites papoues tandis que les côtes nord et est emploient les langues austronésiennes (malayo-polynésiennes), héritées des migrations massives de l’Asie du sud-est.
Mais aucune généralisation n’est possible; un village peut très bien parler le papou et son voisin l’austronésien.
Cette diversité linguistique se retrouve au niveau de la création artistique.
L’exposition s’organise selon un parcours géographique, et présente l’intérêt d’éviter toute répétition afin de proposer l’éventail le plus large possible de cette richesse créatrice.
La découverte s’effectue de la pointe occidentale de l’île – influencée par son contact avec l’art indonésien des Moluques comme l’attestent les statuettes en bois -, du nord (autour du lac Sentani, du fleuve Sepik, et de la baie Astrolabe) à l’est (avec le golfe Huon et le district Massim). Puis de la côte sud-est (golfe de Papouasie) à la côte sud-ouest, caractérisée par le peuple des Asmat. La visite s’achève chez les Kamora, réputés pour leurs masques végétaux et parures.
Les sculptures en bois sont en effet étroitement liées à la vie sociale et rituelle de chaque société de Nouvelle-Guinée et de la province de Papua (Papouasie Occidentale indonésienne). Parfois colorées, elles sont parées de plumes, de coquillages, de fibres et de surmodelage de terre.
L’analyse de ces éléments additionnels permet de comprendre les valeurs des peuples mélanésiens ancestraux, regroupés dans des villages dominés par des « maisons cérémonielles », réservées aux hommes initiés, où vivent éternellement l’esprit des anciens.
Cette grille de lecture se confirme à l’étude des motifs de l’avant des pirogues. L’importance est donnée à l’équilibre des figures et des formes. Les signes, volontairement dispersés, représentent des papillons ou des aigles pêcheurs – a priori deux éléments qui n’ont pas de rapport entre eux. Sauf le pouvoir qu’ils incarnent et l’action qu’ils sont supposés générer. Le papillon symbolise la légèreté et la célérité – comme doit l’être la pirogue qui fend l’eau – tandis que l’aigle pêcheur fond sur sa proie qu’il ne rate
jamais – à l’instar de l’expédition qui doit rapporter le butin quêté. Les motifs sont là pour produire un effet de fascination sur celui qui les regarde; ils doivent séduire et persuader leur observateur de leur pouvoir magique.
Mais l’art de Nouvelle-Guinée n’est pas toujours décryptable de manière aussi linéaire. Ainsi en est-il des figures entremêlées de certains objets comme le creux de ce plat asmat représentant deux appendices – un estomac ou les parties intimes de l’anatomie féminine? Ou tel corps animalier hybride – crocodile ou cochon?
Un art malencontreusement dénommé « primitif » qui prouve – s’il était encore nécessaire de le faire – la complexité et la particularité de l’iconographie des sociétés non occidentales. On ressort de l’exposition envoûté par la puissance d’expression et l’irréductible magie de cet art à la fois ténébreux – n’oublions pas la part de cannibalisme! – et merveilleux.
Une critique néanmoins: le manque d’explications murales sur cet art secret – terreau fertile des recherches ethnographiques modernes.