Jusqu’au 27 janvier 2019
Catalogue de l’exposition :
Jeu de Paume, 1 place de la Concorde, Paris 1er
Le Jeu de Paume propose un nouveau regard sur l’oeuvre de la photographe américaine Dorothea Lange (1895-1965). L’exposition présente autant ses photographies iconiques que ses images censurées par le gouvernement fédéral jusqu’en 2006.
Le parcours débute avec la Grande Dépression des années 1930 pour saisir la nature résolument sociale de l’oeuvre photographique sociale et l’impact que ces années de misère ont eu sur sa carrière.
Lorsque Dorothea ouvre son studio à San Francisco, prenant le nom de jeune fille de sa mère, Lange, elle se spécialise dans les portraits. Dès la Grande Dépression, elle s’en détourne pour documenter les scènes de rue, l’agitation sociale, la misère des travailleurs agricoles autant que celle des ouvriers industriels.
Il s’agit d’une version connue de l’oeuvre de la photographe, bien que l’on découvre ici un ensemble de planches qui couvrent les vingt-deux Etats que Lange a parcouru pour documenter la migration des travailleurs du Middle West vers la Californie ; une commande de la Farm Security Administration (1935-1941) afin de documenter la contribution du New Deal à l’endiguement de la pauvreté.
En revanche, ce que l’on ne connaissait pas – et pour cause, l’administration militaire avait classé les photographies jusqu’en 2006 – c’est l’un des aspects négatifs de la politique de Franklin D. Roosevelt. Suite au bombardement par l’armée japonaise de la base américaine Pearl Harbour à Hawaï (mars 1942), le gouvernement fédéral ordonne l’internement de plus de 110.000 Américains d’origine japonaise (décret 9066) sur trois générations. La War Relocation Authority confie à Lange de documenter le « transfert » des habitants dans des camps de fortune, pour prouver que tout se fait dans le calme, sans pleurs et sans tortures. Lorsque l’administration découvre les photographies de Lange, elle perçoit la profondeur des clichés qui prouvent le véritable désespoir de ces citoyens américains, perdant tout leur bien, internés pendant plus de 18 mois ; le gouvernement décide alors de classer ces images en « archives militaires » pour les censurer.
C’est véritablement le point fort de cette exposition pour moi. Le film à la fin du parcours, réalisé par la petite-fille de Lange, est édifiant (bien que j’ai été choquée par le commentaire d’un descendant japonais qui s’offusquait que les Américano-japonais doivent porter une étiquette pour monter dans les camions alors que c’est exactement ce que les Juifs ont subi dans le même temps, en pire). L’exposition met en valeur l’énorme travail de documentation que la photographe a réalisé en plus de ses témoignages visuels, relatant par écrit les paroles des gens qu’elle prenait en photo pour témoigner de leurs difficultés extrêmes. Une artiste profondément engagée, à redécouvrir.