« Jardin d’amour » – Installation de Yinka Shonibare, MBE
Jusqu’au 8 juillet 2007
Musée du quai Branly, Galerie Jardin, entrée par les 27,37,51 quai Branly ou 206,218 rue de l’Université 75007, 01 56 61 70 00, 8€
Yinka Shonibare – artiste d’origine nigériane, vivant à Londres -, récompensé par le prestigieux Turner Prize en 2004 et Member of the order of the British Empire (MBE), est invité au musée du quai Branly pour « divertir » le public français, tout en versant dans le dramatique…
« Jardin d’amour » consiste en un labyrinthe de jardins paysagés à la française (réalisés par Régis Guignard), peuplés dans ses recoins de mannequins représentant de jeunes nobles oisifs, jouant à l’amour. Mais deux éléments viennent perturber le regard et plomber l’atmosphère: ces pauvres insouciants ont la tête coupée et sont vêtus de boubous africains siglés Chanel…Et oui, Révolution française oblige, la décapitation et l’abolition de l’esclavage – qui permettait cet enrichissement fondé sur l’exploitation des colonies – portent à conséquence…
Mais ce temps n’est pas révolu d’après Y. Shonibare. « Des gens du Sud, c’est à dire issus des pays du Tiers-Monde, d’Afrique du Nord, d’Asie, etc., voient en l’Europe un panier de fruits bien garni ou – si vous préférez – un ‘jardin d’abondance’. Pour eux, l’Europe est un jardin d’Eden ». Qui ne manquera pas d’être renversé si l’on tire les leçons de l’histoire, comme le suggère l’artiste, pour qui le XVIIIè siècle sert de métaphore à une situation contemporaine.
De l’humour très british donc pour cette installation qui fait froid dans le dos après s’être amusé à se perdre dans ce tableau vivant de Fragonard. Y. Shonibare s’est inspiré de trois conversation pieces de la série Les Progrès de l’amour (1771-73) de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) – La Poursuite / L’Amant couronné / La Lettre d’amour – peintes (avec le deuxième volet, ici manquant: La Rencontre ou la Surprise) pour le pavillon de Madame du Barry, à Louveciennes. Aujourd’hui, ces toiles frivoles de style Rococo sont conservées à la Frick Collection de New York. Car, par un pervers effet de mode, elles ont été reniées peu de temps après leur installation, pour cause de non concordance avec l’architecture néoclassique du pavillon de la (dernière) maîtresse de Louis XV. Madame du Barry leur a préféré, en effet, les compositions antiques et sérieuses de Joseph-Marie Vien.
Une oeuvre a priori légère mais fondamentalement intellectuelle. Citons, les jeux d’anachronisme – le tissu imprimé africain (wax) a subi les affres de la globalisation -; l’ironie – Shonibare a lui-même bénéficié de son statut d’enfant nanti (six voitures dont une Mercedes pour le week-end avec chauffeur, maison cossue avec serviteurs, éducation bilingue, etc.) au Nigéria avant de lutter pour se faire connaître en tant qu’artiste noir dans un pays européen, blanc -; la critique sous-jacente du bien-fondé du projet colonial, ridiculisé par ce désir de maîtriser la nature (cf. le bel ordonnancement des jardins français) et la prétention de « civiliser les sauvages ». Enfin, la mise en valeur de l’interdépendance des cultures, comme l’atteste l’histoire des tissus. Les Hollandais sont les premiers à produire des tissus imprimés à la fin du XIXè siècle, avant d’être repris par les Indonésiens, puis par les Africains, qui pensaient se distinguer des Européens en les portant. Or, aujourd’hui, ces tissus sont instinctivement pensés comme typiquement africains!
La question de l’identité est au coeur de l’oeuvre poétique de Yinka Shonibare – qui se défend de vouloir donner une quelconque leçon de morale aux Européens, ni de vouloir donner un accent politique à son travail. L’artiste préfère mettre en avant sa conception du Beau tout en ne s’interdisant pas de suggérer quelques réflexions bien placées. Un dernier exemple: dans Victorian Philanthropists Parlour (1996-97), Y. S. s’amuse à parodier le goût typiquement anglais – reproduire à l’identique des intérieurs d’époque – en couvrant murs et mobilier de tissus rendant hommage aux footballeurs…africains!
Ne manquez pas de découvrir l’esprit affûté de cet artiste, qui veut nous faire prendre conscience qu’il y a toujours un prix à payer pour profiter d’avantages élitistes. « Je veux pousser le public à le reconnaître pour qu’il cesse de jouer de la lyre pendant que Rome brûle ». A bon entendeur…
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