Editions BakerStreet, novembre 2010, 16€
Après le succès de La Soupe de Kafka (sur la cuisine) et de La Baignoire de Goethe (sur le bricolage, désigné par le London Sunday Times comme le livre le plus drôle de 2008), Mark Crick poursuit brillamment avec Le Jardin de Machiavel sa série de pastiches littéraires. Un genre où s’est distingué des auteurs aussi illustres que Marcel Proust que Raymond Queneau.
Avec sa touche d’humour so British, l’auteur londonien, qui illustre également son récit de dessins pastichant de grands artistes (de Munch à Lichtenstein ou Rivera), nous fait découvrir les joies du jardinage de manière jubilatoire:
Regarnir une jardinière avec Raymond Carver (Geneviève Brisac)
Cultiver des pommes de terre avec Bertold Brecht (Jean-Yves Masson)
Diviser un bambou avec Isabelle Allende (Michel Wagner)
Tondre une pelouse avec Machiavel (Jacques Attali, qui a également traduit l’introduction du livre)
Planter un arbre fruitier avec Henrik Ibsen (Jean Pavans)
Eliminer une salope avec Bret Easton Ellis (Brice Matthieussent)
Mettre des bulbes en terre avec Sylvia Plath (Camille Laurens)
Défricher à la main avec Emile Zola (Patrice de Méritens)
Entretenir une bruyère avec Alan Bennett (Isabelle D. Philippe)
Faire proliférer une vigne vierge avec Mary Shelley (René de Ceccatty)
Rempoter une plante d’intérieur avec Martin Amis (Bernard Hoepffner)
Tailler un rosier avec Pablo Neruda (Michel Wagner)
Petits extraits en guise de mise en bouche:
« Tondre une pelouse avec Machiavel – Outils: Faux, cisailles, détermination implacable, poison.
[…] De ce fait, j’affirme que, entre les mois de mars et d’octobre, celui qui entretient sa pelouse ne doit se fixer aucun autre but, ne tendre vers aucune autre pensée, ne prendre en considération aucun autre objet d’étude que l’art de la tonte fréquente du gazon, ses règles et sa discipline. La tonte régulière non seulement punit les plantes délinquantes mais encore réfrène les ambitions de ces herbes et graines, qui par une rapide progression, cherchent à s’assurer la prééminence parmi leurs semblables. De cette manière, un sage jardinier est en mesure de conforter la vigueur de ses herbes, sans toutefois leur permettre d’atteindre une taille susceptible de constituer un défi à son autorité » (pp.43/44)
Dans un autre genre, « Eliminer une salope avec Bret Easton Ellis – Outils: Chaussures Hunter Wellington vert classique, gants Gold Leaf extra-résistants, binette Sneeboer, sécateur professionnel Felco modèle 7.
Quand je sors sur le toit jardin de mon appartement de l’Upper East Side, je porte une chemise en coton Sea Island couleur citron à quatre boutons de chez Saks, un pantalon Ralph Lauren en moleskine vert Ohio avec une ceinture Mulberry en cuir beige. Je parcours des yeux la lisière bigarrée et remarque aussitôt la tige couleur vert sève clair. Elle paraît plus saine, plus luxuriante que ses voisines, cette diagonale vert émeraude longue de presque deux mètres. […] Dans ce seul jardin, il y a tellement de parasites que je n’arrive plus à les compter. Les pucerons, les chenilles, les vers de farine, les acariens, les aleurodes, les limaces, les escargots, le mildiou, les moisissures, la rouille, la gale poudreuse, les champignons, le feu des tulipes, le bud blast, le chancre, et les écureuils. Putain d’écureuils. Ils bouffent les bulbes, volent les fruits, enfouissent les noix. Enfoirés d’écureuils. Tout ça dans une minuscule enclave de verdure urbaine » (pp.59/60).
Enfin, mon texte préféré car si typique de l’humour dérisoire anglais, pardon écossais, « Entretenir une Bruyère avec Alan Bennett – Outils: sécateur, terre acide, bon drainage.
[…] La Bruyère a connu une saison glorieuse en 2005; au cours de ce qui a dû être son année la plus chargée, elle est apparue dans pas moins de cinq expositions, dont un hommage fleuri aux soldats stationnés outre-mer, une corbeille destinée à collecter des fonds pour le RNLI et, le bouquet final, une dernière apparition dans l’horloge florale de la ville. Mr Crofton, toujours horticulteur en chef de la circonscription, lui avait réservé une silhouette: après des préparatifs intensifs et une bonne taille, elle devait représenter le chiffre deux pour ce qui, cette année-là, devait être l’apothéose des floralies de Morecambe » (p.82).
Bien evidément, mieux vaut connaître ses classiques pour apprécier le subtil décalage littéraire exercé par l’auteur par rapport aux oeuvres originales! A offrir à qui aime « cultiver son jardin ».