Jusqu’au 23 mai 2011
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Musée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard 75006
Après la polémique liée à l’ancien gérant des expositions du musée du Luxembourg (SVO) qui avait contraint le musée à fermer pour un an, ce dernier rouvre avec une programmation consacrée à la Renaissance. La Réunion des Musées Nationaux, nouvel exploitant du lieu, entame la période avec la présentation de Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553), dont l’oeuvre pluridisciplinaire est méconnue en France.
Artiste majeur de la Renaissance germanique, Lucas Cranach produit des oeuvres qui témoignent des troubles politico-religieux de son époque liés à l’avènement de la Réforme. Si l’artiste a indéniablement défendu la cause protestante, auprès de Martin Luther, Cranach ne s’est pas privé de répondre aux commandes de l’Eglise catholique.
Son oeuvre se double d’une autre complexité. Fort de l’hyper productivité de son atelier, qui livre des oeuvres en un temps record, l’artiste a souffert d’une mauvaise publicité: la postérité a dénigré un travail sériel, loin de toute originalité artistique.
L’exposition entend remettre les points sur les « i » à ces deux sujets.
Né en 1472 (date non sûre) à Kronach (au nord-ouest de l’actuelle Bavière), d’où il tire son patronyme, Lucas Cranach entreprend son apprentissage dans l’atelier de son père, le peintre Hans Maler.
Très tôt, la cour de Vienne l’attire car l’empereur Maximilien Ier (1459-1519) y mène une politique de commandes artistiques intense. De plus, dans les années 1500, le statut des peintres et sculpteurs évolue: ils ne sont plus considérés comme de simples artisans mais comme des artistes en tant que tel.
Cranach s’installe donc à Vienne au début du XVIe siècle, où sa carrière décolle. L’artiste produit rapidement des oeuvres qui répondent à l’attente de ses commanditaires: scènes et personnages bibliques ou mythologiques, entourés d’un décor végétal dense.
Son oeuvre est également influencée par les idées humanistes des intellectuels qu’il fréquente, rassemblés autour du poète Conrad Celtis, louant un temps germanique ancien.
Attiré par les succès du peintre, l’un des grands princes électeurs du Saint Empire romain germanique, Frédéric III le Sage (1463-1525) fait appel à son talent. Il invite Cranach dans sa ville résidentielle de Wittenberg (1505), où il rebâtit ses châteaux et fonde une université pour concurrencer les prestigieux centres intellectuels de Cologne, Heidelberg et Leipzig. A cette occasion, le prince électeur commande de nombreux retables à la Vierge et aux saintes les plus vénérées telle sainte Catherine, patronne des savoirs, et dont le culte est particulièrement répandu dans l’empire.
Devenu peintre officiel, Cranach perçoit un salaire fixe et bénéficie d’un statut aussi envié que celui des grands officiers.
Pour Frédéric III, Cranach décore les murs de ses châteaux, dessine des habits de cour, des armoiries et des emblèmes, peint le gibier abattu par les électeurs. Diversifiées, ses compétences sont récompensées par l’octroi d’armoiries: un serpent aux ailes relevées (cf. Allégorie de la Justice, 1537). Lorsque le fils de Lucas, Hans perd la vie à l’âge de 24 ans (1537), le maître signera les toiles de l’atelier familial en abaissant les ailes.
L’artiste réalise également une mission diplomatique pour le compte de son mécène: il est envoyé à Malines, en Flandres (1508), pour représenter Charles Quint et sa soeur, Marguerite d’Autriche.
Pour Guido Messling, commissaire de l’exposition: « La liste des personnages rencontrés au cours de plus de cinquante ans d’activité, et dont il a réalisé les portraits ou qui lui firent d’autres commandes, peut encore aujourd’hui se lire comme un Who’s Who de l’histoire, de l’art et de la culture au début du XVIe siècle, et ce, au-delà de la seule Allemagne. Ainsi Charles Quint n’est-il que le plus illustre des Habsbourg dont les traits ont été immortalisés par Cranach. Ce dernier est l’un des rares artistes allemands à s’être vu confier dès 1515 la prestigieuse mission d’illustrer à l’aide de dessins en marge le recueil de prières de Maximilien Ier, prédécesseur de Charles. […] Certaines de ses oeuvres ont été offertes en cadeaux diplomatiques non seulement à Charles Quint, mais aussi au roi de France François Ier, tandis que d’autres ont probablement rejoint en Angleterre la collection d’Henry VIII. »
Martin Luther (1483-1546) représente un autre grand mécène de Cranach. Wittenberg devient le berceau de la Réforme protestante et Cranach participe à son essor en produisant des oeuvres qui illustrent les sermons et les catéchismes de Luther.
Pour répondre à la demande croissante des villes converties, Cranach instaure un système lui permettant de produire des séries d’oeuvres, sans jamais qu’elles soient tout à fait identiques. L’artiste travaille à partir de livres qui offrent à ses apprentis des modèles gravés, de parties de corps ou d’animaux, réagençables à l’infini. Le maître ne participait à la réalisation du tableau qu’en fonction de l’importance du commanditaire. D’où la critique postérieure qui a dénigré cette production presque automatique, en tout cas sérielle, loin d’un art pictural sensé être original.
Pas évidente au regard de l’esthétique moderne, la peinture du XVIe telle que Cranach la pratique impressionne. Ses oeuvres, de part leur ambiguité – notamment les représentations de femmes nues hésitant entre érotisme et morale – apportent une profondeur à des formes à la fois limpides et raffinées.