Voici une exposition qui ne désemplit pas: prévoyez 1h d’attente en semaine si vous n’avez pas réservé votre billet à l’avance. Et, pour cause, l’exposition sobrement intitulée Gustave Courbet (1819-1877) offre un panorama de peintures (120) exceptionnelles qui mettent en valeur les dernières recherches sur la lecture de l’oeuvre de Courbet, dans le contexte de la création artistique des années 1840-1860. Une exposition-événement.
Gustave Courbet est un artiste complexe. Son oeuvre, protéiforme, varie de la représentation du réel, nuancée d’une pointe de romantisme, à la tentation du moderne. L’artiste a joué un rôle primordial auprès des défenseurs d’une nouvelle peinture réaliste, qui rejette l’idéalisation classique et académique de la beauté, et sur le devenir de l’Impressionnisme.
L’exposition débute avec les autoportraits de jeunesse de Courbet, datés entre 1840 et 1855. L’artiste se place au centre de son oeuvre, lui conférant une connotation romantique – attitude qui rappelle celle de Rembrandt (1606-1669). En atteste cette gigantesque toile, L’Atelier du peintre (1855), exceptionnellement déplacée du Musée d’Orsay, le représentant peignant dans son atelier, entouré d’une foule plus ou moins anonyme. Baudelaire figure assis dans le coin droit. Courbet se met ainsi en scène, en s’affirmant comme un artiste en vogue, entouré de personnalités reconnues.
Né en 1819 à Ornans (Doubs), Jean Désiré Gustave COurbet gardera toujours une profonde affection pour sa terre natale, qui lui inspire de grandes toiles (cf. Un enterrement à Ornans, 1849-50), et ses racines familiales (cf. portrait de ses trois soeurs, 1846-47). Il s’agit d’un parti pris de l’artiste de représenter l’exotisme que peut représenter cette région lointaine pour un Parisien, avec l’accent prononcé de ses habitants, leurs manières simples, et leur mise non sophistiquée. Cet attachement aux coutumes locales est autant sincère et spontané qu’il constitue une stratégie calculée de distinction artistique.
Mais, Courbet est avant tout un paysagiste sensible, multipliant les marines (cf. La Vague, 1869; Paysage de mer, 1872), les scènes de forêt (cf. Ruisseau en forêt, 1852-53 ou La vallée de la Loue par temps d’orage, vers 1849), et les scènes de chasse (L’Hallali du cerf, 1866; Le Combat de cerfs, 1861). Souvent, le peintre se représente seul, faisant face, tel un roseau ployant mais résistant, à l’immensité de la Nature. Cela ne signifie pas pour autant qu’il peint directement d’après nature. Plutôt, il l’observe attentivement, avant de rentrer à Paris pour peindre dans son atelier d’après mémoire. Le réalisme dont fait preuve Courbet relève donc moins d’une représentation objective du réel que d’un rendu intériorisé des paysages, biaisé par le prisme de ses souvenirs.
La transgression du nu constitue un autre thème majeur dans lequel Courbet se distingue (cf. L’origine du Monde, 1866). Cette partie est d’ailleurs explicitement mise entre parenthèse, par des murs entrouverts au sein de l’exposition, comme s’il fallait les protéger de la vue du public! Une mise en abîme qui est renforcée par des loupes encastrées dans des boîtes pour voir dans le détail la réalité contenue dans la périphrase « origine du Monde »! Moins intimistes mais tout autant érotiques et socialement incorrectes, Les Baigneuses (1853) et La Femme au perroquet (1866) s’articulent en reflet de cette section transgressive.
Là encore, les peintures ont été peintes en atelier bien qu’elles aient pour cadre la forêt et les sources d’eau franc-comtoises. Les chairs sont généreuses comme dans les toiles de Rembrandt, la carnation rosée évoque celle des femmes de Rubens, la sensualité des poses et la force des coloris rappellent les toiles du Corrège, précise Dominique de Font-Réault, co-commissaire de l’exposition et conservateur au musée d’Orsay. Courbet démontre ici son étude des Anciens, inspirée de sa fréquentation du Louvre et des musées hollandais (Amsterdam et La Haye).
« Il avait toujours su que la chair est l’écueil du peintre, c’est là qu’on prouve que l’on est maître », écrit en 1882 Jules-Antoine Castagnary, critique d’art et journaliste de Courbet.
Les modèles sont souvent endormis, immobiles, et ne regardent pas le spectateur. Représentation d’une intimité liée, non pas au souvenir du mâle conquérant, selon Dominique de Font-Réault, mais en tant qu' »homme, aîné de trois soeurs, familier de l’univers féminin ». Au point de savoir rendre la puissance de la chair des femmes, non idéalisée, la chair d’une femme vraie. Car « être non seulement un peintre, mais encore un homme, en un mot faire de l’art vivant, tel est mon but », résume Gustave Courbet.
Enfin, artiste engagé politiquement, Courbet passe à l’action, à l’occasion du siège de Paris (1871), et préside durant la Commune la Fédération des Artistes. Porté responsable de la destruction de la colonne Vendôme, il est emprisonné puis envoyé en exil en Suisse, à partir de 1873. Hormis Autoportrait à Sainte-Pélagie (1861) – nom d’une prison parisienne (5e arrondissement) -, le peintre n’a pas pu traité directement des événements politiques dont il a été témoin. Il se réfugie alors dans la représentation d’une série de natures mortes mélancoliques, peintes entre 1871 et 1873. Son désarroi s’incarne dans trois tableaux de Truites de la Loue (1872), métaphores du destin douloureux et tragique de l’artiste. Une fin, à l’opposé de la grandeur à laquelle l’artiste avait âprement aspirée.