Jusqu’au 29 février 2008
Musée Bourdelle, 18, rue Antoine Bourdelle 75015, 01 49 54 73 73, 6€
Le musée Bourdelle propose une exposition sur les dessins et sculptures d’Henry Moore (1898-1986) inspirés des mythes antiques. A l’instar des oeuvres d’Antoine Bourdelle (1861-1929), qui s’approprie, d’une manière autre mais indéniable, la mythologie – fonds commun de l’humanité.
« Henry Moore et la Mythologie » rassemble une soixantaine de sculptures des années 1950 à 1980. Ainsi qu’une soixantaine de dessins et de lithographies exécutés par Henry Moore pour les illustrations de deux ouvrages: The Rescue d’Edward Sackwille-West et Prométhée de J. W. Goethe.
C’est en relisant L’Odyssée d’Homère, pendant la Seconde Guerre mondiale, que Moore change d’attitude envers la tradition classique, dont il s’était délibéremment écarté. « Il fut un temps où je m’efforçais de ne pas regarder la sculpture grecque, qu’elle qu’elle soit, ainsi que celle de la Renaissance, car je considérais que l’art grec et celui de la Renaissance étaient l’ennemi, qu’il fallait renverser tout cela et tout recommencer du début de l’art primitif » confie Henry Moore dans une interview avec Donald Hall en novembre 1960.
En 1951, Moore entreprend son unique séjour en Grèce. Dont il revient bouleversé.
Durant l’été 1940, Moore doit abandonner la sculpture en raison de la pénurie des matériaux. A défaut, il se met au dessin, représentant des Londoniens cherchant refuge dans le métro (Shelter Drawings). Moore revient à la sculpture en 1943 avec des maquettes en terre cuite de Madonna and Child (Vierge à l’Enfant), mais n’abandonnera pas sa pratique du dessin. Car cela l’oblige à observer consciencieusement son modèle, à se l’approprier.
C’est ainsi qu’il commence à travailler aux illustrations de The Rescue, un poème dramatique diffusé sur la radio, d’après un texte d’Edward Sackwille-West et une partition orchestrale de Benjamin Britten.
Sackwille-West condense le récit d’Homère, qu’il estime à neuf heures, en une pièce de trois heures, concentrée sur six protagonistes (Ulysse, sa femme Pénélope, leur fils Télémaque, le poète Phémios, le vieil ami et porcher d’Ulysee Eumée, la déesse Athéna). Le récit commence lorsqu’Ulysse revient en Grèce, après avoir erré pendant 20 ans en Méditerranée orientale, à la suite des guerres de Troie. L’action s’achève avec le massacre des prétendants de Pénélope. Sackwille-West rapproche le récit homérique de la situation vécue par la Grèce pendant la Seconde Guerre mondiale, occupée par les Nazis. Il emploie le même ton semi-comique qu’Homère, parce que « les gangsters, les fascistes et autres personnages puérils sont essentiellement des figures de farce » (in Ithaque délivrée, p.23).
David Mitchinson, commissaire de l’exposition (directeur des expositions et des collections de The Henry Moore Fondation) ajoute qu’un parralèle entre la Grèce d’Homère et celle de 1940 peut être tracé avec « l’arrivée d’une aide étrangère pour combattre l’oppresseur – Ulysse incarnant alors l’Empire britannique et les troupes américaines, Pénélope, l’Europe dans l’attente du secours, et, les prétendants, les Nazis sur le point d’être massacrés ».
Quant aux illustrations de Prométhée, l’idée est née de la rencontre de Henry Moore avec l’éditeur Henri Jonquières, alors que le sculpteur britannique séjourne à Paris en décembre 1949 à l’occasion de son exposition au musée national d’art moderne. Si Henri Jonquières est responsable de la typographie du livre de Prométhée, issu de la traduction d’André Gide du Prometheus de Goethe, Henry Moore est activement associé à la conception des textes et des illustrations.
Les sculptures d’Henry Moore, l’autre source d’intérêt de cette exposition, partagent avec celles d’Antoine Bourdelle une même inspiration de la nature et une fascination commune pour les questions d’échelle. Tous deux réalisent de petites ébauches en plâtre qu’ils agrandissent, parfois de manière démesurée.
Chez Moore, la sculpture – qu’elle soit de petite ou de grande taille – dégage une vitalité propre, « elle doit avoir en elle une énergie contenue, une vie intense, rien qu’à elle, indépendante de l’objet représenté », révèle un documentaire captivant (dans la salle principale des expositions). Tel est le propre du grand Art selon l’artiste.
L’étude de la nature prend la forme d’une promenade quotidienne dans la campagne de Perry Green (à une quarantaine de km au nord de Londres, dans le Hertfordshire) où Moore a élu domicile à partir de 1940.
De la fenêtre de son atelier, Henry Moore regarde les moutons joués avec ses sculptures Sheep Pieces, « formes arrondies, nuageuses de brebis, qui se détachent sur l’horizon, offertes à l’ouvert, au monde ouranien [le ciel et la montagne] » commente Thierry Dufrêne (Professeur à Paris X, adjoint au directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art).
Une exposition forte qui nous fait découvrir les oeuvres d’Henry Moore dans un cadre à la fois original et opportun. Tout en donnant envie au visiteur passionné de traverser la Manche pour admirer ces chefs d’oeuvre sculpturaux dans leur environnement naturel!