Si les artistes cubistes puis surréalistes se sont intéressés aux arts premiers, c’est à Charles Ratton (1897-1986) que l’on doit leur avènement au rang d’oeuvres d’art. Le musée du quai Branly consacre sa première exposition à une figure du marché de l’art aussi historique et médiatique qu’à la personnalité restée bien mystérieuse.
Venu de Mâcon, Charles Ratton suit les cours de l’Ecole du Louvre à Paris et s’intéresse particulièrement au Moyen-Age et à la Renaissance. Avant de tomber en pâmoison devant les arts premiers, qu’ils soient africains, américains ou océaniens.
Ces arts que l’on nomme communément – bien qu’improprement « primitifs » – sont, selon lui, aussi dignes que les arts classiques. Il décide alors de redorer leur blason au sein de sa galerie du 76 rue de Rennes (Paris VI), puis du 39 rue Laffitte (Paris IX), et enfin du 14 rue de Marignan (Paris VIII).
A la fin des années 1920, Ratton reçoit le droit d’exercer le métier de « brocanteur à demeure » et sert d’expert à l’Hôtel Drouot à partir de 1931. Il excelle grâce à son réseau d’acheteurs et de prêteurs dans lequel les amateurs fortunés (telle Helena Rubinstein) côtoient les artistes avant-gardistes et les poètes surréalistes désargentés. Il a l’intelligence de se développer à l’international, notamment aux Etats-Unis. Et s’appuie sur tous les moyens de communications de son temps ; presse, photographie (magnifiques tirages de Walker Evans et Man Ray) et cinéma (cf. sa collaboration pour le film d’Alain Resnais et Chris Marker, Les statues meurent aussi, 1953).
L’exposition présente des reconstitutions d’expositions d’oeuvres primitives. En particulier l’Exposition coloniale du Bois de Vincennes (1931) , qui a suscité une vive polémique de la part des surréalistes anti-impérialistes et donne lieu à un excellent texte de Breton & cie.
Mais l’oeuvre qui m’a le plus touchée, subjectivité oblige, reste un couple de jumeaux ere ibeji, de l’ethnie Yoruba (Nigeria) du XIXe siècle! Ils ont longtemps été tués avant qu’un décret royal ne l’interdise dans les années 1870. Puis ils ont été adulés et chargés de protéger le foyer qui les accueille. En lisant leur légende, j’ai compris pourquoi une inconnue africaine nous a arrêtés dans la rue alors que nous nous promenions avec la double-poussette pour nous donner de l’argent et toucher nos jumeaux, tels des fétiches!