Sculpter l’époque
Jusqu’au 31 mars 2024
#ExpoChanaOrloff @MuseeZadkine
Musée Zadkine, 100bis rue d’Assas, Paris 6e
Le musée Zadkine présente l’oeuvre de l’artiste Chana Orloff (1888-1968), sa première exposition à Paris depuis 1971, en contrepoint des sculptures d’Ossip Zadkine (1888-1967). Une confrontation magistrale.
Les deux artistes sont nés dans l’Empire russe ; Chana dans l’actuelle Ukraine, Ossip dans la Biélorussie contemporaine. Ils ont chacun un atelier rue d’Assas ; elle au numéro 68, lui au numéro 100bis. Ils recherchent tous deux la simplicité des formes dans leurs portraits et encore plus dans leurs oeuvres d’après-guerre.
Chana Orloff vit en Palestine jusqu’à ses 17 ans. Elle arrive à Paris en 1910 pour obtenir un diplôme de couture. Mais elle découvre sa vocation pour la sculpture et devient rapidement l’artiste la plus renommée de l’École de Paris. Elle expose en France, à l’étranger, reçoit la Légion d’Honneur, et la nationalité française.
Son succès lui permet de se faire construire par Auguste Perret une maison-atelier, près du parc Montsouris (via Seurat) en 1926, qui se visite encore aujourd’hui. Elle est également l’une des rares femmes à pouvoir participer à l’exposition des Maîtres de l’art indépendant organisée au Petit Palais en 1937.
Ses sculptures se caractérisent par la représentation du mouvement ; couple de danseurs, sportives, femmes amazones. Elle-même s’incarne dans une femme à cheval, coupe à la garçonne. En référence au peuple de guerrières de la mythologie grecque qui seraient originaires de son pays natal, symboles de la femme libre et indépendante.
« L’artiste représente toutes les générations de femme », précise Pauline Créteur (chargée de recherche à la BnF), co-commissaire de l’exposition. Y compris les petites filles comme la statue de la fille de Chagall, Ida, à l’âge de sept ans. « Oeuvre troublante de par sa nudité, elle témoigne de son intérêt pour la culture égyptienne dans le traitement de sa chevelure », précise-t-elle.
La Seconde Guerre mondiale met un terme à la fulgurante carrière de C. Orloff. Ses sculptures animalières se transforment en message politique. Alors que les Nazis assimilent le peuple juif à l’insecte nuisible de la sauterelle, elle retourne la critique en exposant une sauterelle-char, qui est le véritable danger, selon elle.
Pendant cette période, l’artiste perd son mari – l’écrivain et poète Ary Justman – et échappe de peu à la rafle du Vel d’Hiv. Elle parvient à fuir avec son fils en Suisse. La sculptrice emporte quelques « statues animalières de poche ». Sa maison parisienne est saccagée pendant son absence, faisant disparaître 147 oeuvres. Seulement quatre oeuvres ont été retrouvées depuis. Deux sont présentées dans l’exposition, et deux autres sont exposées au musée d’art et d’histoire du judaïsme dont L’enfant Didi qui revient tout juste en France (exposition à voir au MAHJ jusqu’au 29/09/24).
Comment se reconstruire, continuer à travailler, après l’horreur de la Shoah ? Chana Orloff entend « sculpter le néant », commente Cécilie Champy-Vinas (directrice du musée Zadkine), co-commissaire de l’exposition. Pour cela, elle fait alterner le lisse de la matière avec sa rugosité, comme on peut le voir dans Le Retour (1945) ou Inséparables II (1955). Cette sculpture, avec l’Oiseau blessé, présenté dans le jardin, atteint le seuil de l’abstraction, qu’elle ne franchira pas.
L’atelier du jardin accueille l’immense commande qui lui a été faite pour les combattants du kibboutz Ein Gev, morts lors de la guerre de 1948. Chana Orloff s’inspire de la photographie d’une jeune mère de 31 ans, enceinte de son troisième enfant, morte au combat, dans laquelle Hanna Tuchman Adlerstein soulève son enfant vers le ciel. Loin de retenir la mort, l’artiste choisit le symbole de la femme moderne et surtout l’espoir.
Une magnifique re-découverte – l’artiste était tombée dans l’oubli en France (elle est morte à Tel-Aviv) -, dans un musée intimiste, où le public peut approcher les oeuvres et ressentir leur présence.
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