Chefs-d’oeuvre de la Renaissance à Venise
Jusqu’au 7 mai 2023
Hôtel de la Marine – Al Thani Collection, 2 place de la Concorde, Paris 8e
La Al Thani Collection accueille une sélection de chefs-d’oeuvre du palazzo Ca’d’Oro de Venise, le temps que celui-ci entreprenne de grands travaux de restauration. Une chance inouïe de découvrir des oeuvres qui témoignent de la modernité de la Renaissance vénitienne.
Le baron Giorgio Franchetti (1865-1922) a été le dernier propriétaire de ce magnifique palais, situé sur la rive orientale du Grand Canal (dans le quartier de Cannareggio), en amont du pont du Rialto. Il est devenu un musée national, peu connu des touristes. Pourtant, sa grande façade aux colonnes ajourées est l’une des plus belles de la lagune ! Elle était auparavant ornée de décorations dorées, d’où son nom ca’ (dialecte vénitien pour maison ou casa en italien) d’oro (d’or).
Ce palais du XVe siècle avait été construit pour un riche marchand vénitien, Mario Contarini, mais la demeure se dégrade au fil des générations. G. Franchetti l’acquiert et entreprend de la restaurer tout en rassemblant une splendide collection d’art. Cela le ruine et le baron est contraint de s’en séparer. Il lègue le palazzo à l’État italien en 1916… et se suicide quatre ans plus tard.
Le parcours débute par un aperçu des caractéristiques de Venise : deux vedute de Francesco Guardi (Le Môle et la Piazzetta) donnent à voir la beauté de la Sérénissime construite sur la lagune à partir de rien, sur pilotis. « Le goût de l’effort et de l’audace sont ainsi inhérents à la culture vénitienne », analyse Philippe Malgouyres (conservateur en chef du patrimoine, musée du Louvre, département des Objets d’art), commissaire de l’exposition.
Elles font face au symbole animalier de la Ville : le lion ailé avec un pichet en faïence du 15e siècle. Sans origine mythique, Venise construit sa propre légende en volant au IXe siècle à Alexandrie les reliques de saint Marc, dont le symbole est le lion ailé, incarnation de la de puissance divine.
Venise se revendique également de l’héritage de l’empire romain comme en atteste un fragment de baignoire en porphyre. Sans oublier l’Apollon du Belvédère, sculpture en bronze de Pier Jacopo Alari dit l’Antico (vers 1460?-1528), réduction d’un grand marbre découvert récemment à Rome. L’artiste se fonde sur les bronzes antiques, tout en y ajoutant de la polychromie – symbole à la fois de modernité et d’antiquité puisque l’on sait maintenant que la sculpture grecque n’était originellement pas blanche. « Il est donc plus antique que son original ! », commente P. Malgouyres.
La République de Venise conquiert son indépendance face à l’empire byzantin grâce à la puissance de son commerce. Après la chute de Constantinople en 1453, les doges vénitiens veulent à tout prix préserver leur commerce. Ils font les yeux doux aux sultans ottomans. Comme on peut le voir dans la médaille en l’honneur de Mehmed II de Gentile Bellini (vers 1480). Mais cela ne suffira pas à sauver la République qui entame un lent déclin politique et économique jusqu’à sa chute en 1797 face aux armées de Bonaparte.
Néanmoins, la Sérénissime continue de rayonner culturellement ; la deuxième moitié du XVe et le XVIe siècle compte même pour l’âge d’or de la création vénitienne. Un double portrait en marbre réalisé par Tulio Lombardo (vers 1455-1532) montre une tête d’homme vêtu à l’antique et une tête de femme portant une robe brodée du XVe siècle. Ils entrouvrent la bouche comme s’ils se parlaient. L’artiste met en valeur cette nouvelle idée selon laquelle l’oeuvre n’est pas figée dans le passé, comme sur un monument funéraire antique mais vit grâce au geste du sculpteur et s’inscrit dans une lignée temporelle en devenir.
L’oeuvre clé de cette sélection trône sur la cimaise du fond de la salle avec l’immense saint Sébastien, transpercé de flèches, d’Andrea Mantegna, qui n’avait jamais encore quitté l’Italie. En bas à droite, une bougie vient de s’éteindre comme symbole du souffle quittant le corps et cette petite inscription enroulée telle une volute de fumée : « rien n’est permanent, si ce n’est le divin. Le reste est fumée ». À méditer !
Des oeuvres sublimes, en particulier de nombreuses sculptures, issues d’édifices religieux transformés ou disparus de la Renaissance, qui ont rejoint la collection du musée. Une exposition coup de coeur !