Jusqu’au 20 janvier 2020
Centre Pompidou, Paris 4e
Le Centre Pompidou présente une analyse de l’oeuvre de Francis Bacon à travers le prisme de la littérature. Une exposition de haut vol !
L’exposition met en relation six oeuvres littéraires sélectionnées dans la bibliothèque de Francis Bacon (1909-1992), composée de plus de mille ouvrages, avec les peintures qu’il a produites de 1971 à sa mort.
« Les grands poètes sont de formidables déclencheurs d’images, leurs mots me sont indispensables, ils me stimulent, ils m’ouvrent les portes de l’imaginaire ».
Six salles sont consacrées à la lecture – par des acteurs choisis par Matthieu Almaric (lui-même lit un extrait de « Chronique. Dictionnaire, Documents n°6, sur le thème de l’abattoir, de Georges Bataille) – d’extraits de ces ouvrages.
En parallèle de ces salles d’écoute, une scénographie épurée met en valeur les oeuvres monumentales de Bacon.
Le parcours débute par une série tragique transcrivant picturalement la mort de George Dyer (par overdose de barbiturique), compagnon de Bacon, qui devient hanté par la culpabilité de n’avoir pu le sauver.
Traumatisé par cet événement, Bacon va lire les tragédies grecques, notamment Eschyle qu’il découvre en 1939, lors d’une représentation théâtrale à Londres, dans une pièce de T.S. Eliot., La Réunion de famille.
L’Orestie d’Eschyle est sa première et la plus durable source d’inspiration littéraire. Il peint des Euménides ou Furies (déesses des remords – allégories de sa culpabilité envers G. Dyer), et une crucifixion ayant la même composition tripartite que l’Orestie.
Sa passion pour les tragédies grecques le conduit à lire La Naissance de la tragédie de Nietzche dans lequel le philosophe confronte la beauté idéale, incarnée par Apollon, à l’informe dionysiaque. « Un équilibre que Bacon met en oeuvre, faisant dialoguer la géométrie parfaite de se ‘portiques’ avec un geste pictural ‘instinctif’, qu’il soumet aux aléas du hasard », commente Didier Ottinger, commissaire de l’exposition.
De T.S. Eliot, Bacon retient sa passion pour Eschyle mais aussi son style fragmentaire, kaléidoscopique, qui utilise plus de six langues pour son poème La Terre vaine. Bacon le transpose plastiquement en recourant à une sorte de collage.
En 1965, Bacon rencontre Michel Leiris, qui deviendra le traducteur français de ses Entretiens avec David Sylvester. Leiris envoie au peintre Miroir de la tauromachie, dans lequel il compare l’art de l’écrivain à celui du matador. Bacon s’approprie cette métaphore et établit un parallèle entre la danse chorégraphiée imposée à l’animal et sa force brutale.
Bacon réalise un triptyque en 1976 s’inspirant à la fois du Coeur des Ténèbres de Joseph Conrad, qui dénonce les méfaits du colonialisme et l’inversion qui en découle du bien et du mal (par l’exploitation de peuples et terres lointaines). Et de l’ouvrage de Peter Beard, dénonçant l’extinction des éléphants pour le trafic d’ivoire.
Georges Bataille contribue également à inspirer Bacon, avec il partage les principes d’Eros (la vie) et de Thatanos (la mort), qu’il retrouve également dans la philosophie de Nietzsche.
Le parcours se clôt sur la diffusion d’un entretien filmé de Bacon. Si les commentaires du commissaire de l’exposition (disponibles sur les Podcasts du Centre Pompidou) permettent d’appréhender l’approche intellectuelle de Bacon, le documentaire offre des clés de compréhension concernant la dimension esthétique de son oeuvre. Telle la volonté du peintre de tendre vers une plastique de l’immaculé (cf. Eau s’écoulant d’un robinet, 1982). Là où vous seriez tenté de ne voir que des traces de sang ou de violence, les tons rosés prennent le sens de l’exaltation de la vie. Une exposition peu facile d’accès visuellement mais une démonstration cérébrale stimulante !