Portraits de l’Amérique
Jusqu’au 20 octobre 2024
Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, Paris 7e
À l’approche des élections du 47e président américain, le musée Maillol présente un portrait de la société américaine, dans sa fracture sociale et raciale, par le biais des photographies d’Andres Serrano (né en 1950 à New York).
Le parcours débute et termine par la représentation d’un drapeau américain. Objet culte aux États-Unis, son symbole a été bafoué par les attentats du 11 septembre 2001, point de départ du travail d’inventaire d’Andres Serrano.
Né dans une famille d’origine hondurienne et afro-cubaine, Andres Serrano a lui-même vécu le rêve américain. Ses portraits capturent ceux qui n’en ont pas profité : indiens natifs, ouvriers de la métallurgie, sans-papiers, suprémacistes à l’écart de l’Amérique moderne. Ou ceux qui en trop profité comme Trump.
À l’aide d’un studio mobile, A. Serrano, qui ne se reconnaît pas en tant que photographe mais comme « artiste conceptuel », saisit les traits de ses sujets sur un fond sombre (pour évoquer la couleur de la terre comme dans le cas des portraits d’Indiens d’Amérique) ou flashy. « Serrano n’est pas objectif quand il choisit son sujet mais il le devient quand il appuie sur le déclencheur », commente Michel Draguet (professeur en Histoire de l’art), co-commissaire de l’exposition.
L’artiste saisit de près ses sujets, qui paraissent de taille surhumaine. Chez Trump, tout est dit par son regard fuyant et son arrogance. Pour les sans-abris, à l’inverse, il les magnifie, leur rend de l’humanité.
A. Serrano a commencé une collection de souvenirs. Les cartons des sans-abris qu’il leur achète $50, les objets racistes qu’il trouve sur Internet, les cartes postales qui témoignent de lynchages par des membres du Klan, les nombreux produits dérivés à la gloire de Trump.
Une section de l’exposition présente ses oeuvres controversées, celles qui mêlent sécrétions diverses (lait, sang, sperme, urine) et images religieuses, catalysées dans Piss Christ (immersion d’un crucifix dans son urine, 1988). L’artiste s’affirme pourtant profondément chrétien. Il vit même au milieu d’oeuvres médiévales religieuses dans son triplex de Greenwich Village, comme le montre un film et des photographies à la fin du parcours.
Confronté au format du 150 x 100, le regard du spectateur ne peut qu’interagir avec les oeuvres de Serrano, aux tons chauds et d’aspect lisse comme des publicités. Mais l’angle choisi et la mise en exergue de certains détails (comme la pointe d’un canon ou l’oeil perçant à travers le déguisement d’un membre du Klan) engendrent un décalage troublant entre le fond et la forme. L’effet est percutant et peut créer un malaise chez le spectateur-acteur, qui devient complice du jeu subversif de l’artiste.