Weegee dans la collection Berinson
Jusqu’au 15 octobre 2007
Fondation Dina Vierny-Musée Maillol, 61 rue de Grenelle 75007, 01 42 22 59 58, 8€
Le musée Maillol présente une exposition sensible sur les vintages du photographe américain Weegee (1899-1968), de qualité exceptionnelle. Mais portant essentiellement sur la reproduction de corps tués par balles, Amérique oblige…
Première rétrospective d’envergure consacrée à Arthur Fellig, qui prend le nom de Weegee lorsqu’il émigre de sa Galicie natale [zone partagée entre la Pologne et l’Ukraine, à ne pas confondre avec la Galice espagnole] pour rejoindre son père à New York (1910), cette exposition présente 228 vintages du collectionneur Hendrik Berinson. Fait rare, chaque photo constitue un tirage de la main même de Weegee, virtuose du noir et blanc.
A son arrivée aux Etats-Unis, ce jeune fils de rabbin cotôie les classes laborieuses. Très vite, il apprend le métier de photographe et travaille pour les grands journaux comme le Daily News, l’Herald Tribune, et PM Daily (1939-45). Weegee leur vend ses photos de faits divers, récoltant chaque nuit le fruit des meutres, des acccidents et autres drames urbains.
Photographe autodidacte, il travaille à contre-courant, profite de la noirceur de la nuit pour développer son business. Il a équipé le coffre de son coupé Chevrolet de tout le matériel nécessaire pour photographier (ampoules pour le flash, films infra-rouge, etc.), rédiger ses comptes-rendus (machine à écrire), et patienter (cigares, saucisson, vêtements de rechanges, etc.).
Weegee obtient le premier l’autorisation d’utiliser une radio à ondes courtes pour capter les messages de police. Démarrant au quart de tour de sa voiture-domicile, il arrive généralement le premier sur la scène du crime. Et, quand il n’est pas le premier, il s’arrange pour prendre de dos un autre photographe, faisant croire qu’il s’agit de lui-même!
« Au lieu que le crime vienne à moi, je pouvais aller le chercher. Je restai suspendu aux messages radio de la police. Mon appareil photo était toute ma vie, mon amour, mon unique sésame. »
Weegee réalise ainsi plus de cinq mille photos de scènes de meutres – corps jonchant le caniveau – et d’arrestations de gangsters, se faisant un honneur de flasher le visage des bandits arrêtés dans le panier à salade. Weegee immortalise la criminalité américaine et transmet dans ses photos une telle noirceur de l’âme humaine que par la suite, les films policiers s’inspireront de son oeuvre pour recréer ce climat, et prendront le nom de « films noirs ».
Bien que n’appartenant pas au courant puriste d’Ansel Adams (1902-1984) ou de Brett Weston (1911-1993), Weegee sait apporter une dimension esthétique à son travail. Il apparaît bientôt comme un grand photojournaliste, comme l’ont été Walker Evans, Bill Brandt, ou Diane Arbus. Mais en travaillant dans l’ombre et sur des sujets moins glamour que la mode, même s’il a aussi photographié des stars comme Stanley Kubrick, Henry Fonda, Salvador Dali, ou Jerry Lewis.
Ce qui marque profondément dans l’oeuvre de Weegee est le recul qu’il prend avec la mort. Il a le don pour tourner une situation tragique en, si les circonstances pouvaient le permettre, burlesque, comme l’atteste la légende qu’il attribue à ses photos. Par exemple: « Ironie du sort: un policier hors service qui rentrait chez lui s’est fait tuer par balle devant une chapelle funéraire où un cercueil attendait à l’entrée » (années 1940). Dans Meurtre à Little Italy sur Mulberry Street (07/08/1936), il cadre un corps allongé devant une devanture de restaurant, avec le début du mot, ce qui donne « rest » (repos), créant un lien ironique entre l’image et le langage. Ou bien cette photo d’une enseigne indiquant « New York is a friendly town« , alors que le contexte nocturne prouve le contraire.
Weegee s’intéresse également au regard des enfants, que ce soit sur leur prise de conscience de la mort, leurs jeux de rue, ou les moments où ils s’endorment n’importe où comme dans une cage d’esacalier.
Enfin son travail traduit son hypnotisation pour l’architecture de la ville, New York étant sûrement « la ville où [dans les années 1940] sept millions et demi de personnes vivent ensemble dans la solitude », où la ségrégation raciale règne. Mais aussi, une ville dont la multitude des foules (cf. un million de New Yorkais sur la plage de Coney Island) et les gratte-ciels ne peuvent que fasciner l’oeil, qu’il soit touristique ou local.
John Coplands a été l’un des premiers critiques d’art à extrapoler l’oeuvre de Weege de leur contexte photo-journalistique et de leur fonction documentaire, conférant à son travail une dimension artistique. Alors, si le sujet est à la limite du voyeurisme et matière à polémique – âmes sensibles et moralisatrices s’abstenir -, le visiteur ne pourra nier la valeur esthétique et la qualité du travail de Weegee, qui révèle une maîtrise complète tant des contrastes de lumière et d’ombre que de la chambre noire.
Ping :Le regard doux et poétique d’Helen Levitt sur le NY des pauvres - Artscape: Art, Culture & Paris
Magnifique histoire de ce photographe. Une petite remarque pourtant : la quatrième photo montre Henry Fonda et Clark Gable (seulement un ami ?).
Merci.