Jusqu’au 6 mai 2007
Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson 75116, 01 47 23 54 01
Fleuron de l’innovation artistique, le Palais de Tokyo propose cinq expositions personnelles et deux projets collectifs, fondés sur la thématique du renversement. Une notion de physique quantique, qui se symbolise par une barre horizontale au-dessus d’une lettre. Le titre de l’exposition renvoie donc à l’antimatière. Ce qui, transposé dans le domaine artistique, donne le concept d’antiart. Explications.
Les oeuvres ici présentées définissent un art non pas perçu comme un produit ou un résultat mais comme le signe d’une transformation, d’un basculement du réel entre des polarités opposées. Marcel Duchamp disait ainsi: « Le rapport a/b est tout entier non pas dans un nombre c tel que a/b=c mais dans le signe (/) qui sépare a et b ».
Des oeuvres de mutation donc. Tel ce projet de Michel Blazy (né en 1966, vit à Paris) qui présente des plantes ou des sculptures « vivantes ». Après Patman – sorte de champignon géant à base de vermicelles de soja et de colorant alimentaire – exposé précédemment dans Cinq Milliards d’Années – Post-Patman a germé et proliféré sur le sol. Face à « lui », un mur recouvert de farine de riz cuite et d’eau, pèle. Non loin, de grosses poubelles dégorgent de bain moussant. Sur le sol s’étale une peau de bête, réalisée à partir de coton et de crème dessert au chocolat.
L’artiste joue avec le temps qui interagit avec son oeuvre. Germinations voulues ou accidentelles, altérations de matières, pourrissements microscopiques, dégradaton des surfaces, ces changements d’état font partie intégrante de l’oeuvre de Blazy, qui s’apparente à un cabinet de curiosités moderne.
Le Palais de Tokyo sert de laboratoire à ce dispositif d’apparence statique mais en réalité évolutif. Bien sûr, les odeurs sont inhérentes à cette matière vivante…
Deux projets spéciaux de Peter Coffin (né en 1972, vit à New York) sont tout aussi intéressants avec Etats (faites-le vous-même) – exposition didactique sur les micronations – et Musique pour plantes vertes consistant à faire jouer des musiciens professionnels dans une serre grandeur nature pour tenter de communiquer avec les plantes. Une fois par semaine, des artistes de la scène musicale radicale parisienne, sont invités – comme le public – à entrer en dialogue avec cette autre forme de vie que représentent les végétaux.
Quant au sujet des micronations, il s’agit de ces états souverains et indépendants nés d’une volonté de sécession. Par exemple, la principauté de la province de la rivière Hutt, située dans le 1/4 sud ouest australien, résulte de la révole du fermier Leonard Casley contre une loi du gouvernement australien interdisant la surproduction de céréales et limitant les surfaces cultivables à 40ha maximum. Or, lui produisait dix fois le maximum autorisé. Ne pouvant plus payer ses ouvriers, il déclare sécession en 1910. Le gouvernement australien n’ayant ni reconnu ni constesté cette demande, en vertu de la loi, la sécession lui est accordée automatiquement en 1972! Depuis, ce micro territoire a formé un gouvernement, dispose de ses propres timbres et de sa monnaie. Son économie repose aujourd’hui sur son agriculture…et le tourisme. Car comme Ladonia en Suède, ces micronations attirent les curieux, les anarchistes, les artistes excentriques, mais également les réfugiés politiques. Ainsi, en 2002, le territoire de Ladonia, fondé par l’artiste Lars Vilks pour protéger ses deux sculptures monumentales Arx et Nimis (rachetées par J. Beuys puis Christo), a du refuser la demande de 3000 réfugiés pakistanais qui voulaient immigrer sur ce territoire s’étendant le long des côtes suédoises. Mais là réside le paradoxe de ces nations concepts dont la plupart n’existe que dans le cyberspace: elles ne peuvent pas assurer concrètement l’indépendance et la liberté dont elles se réclament!
Joe Coleman (né en 1955, vit à New York), performeur, musicien et acteur, expose pour la première fois au Palais de Tokyo. L’artiste rend compte de sa fascination pour les tendances psychopathes à travers des peintures denses et détaillées, d’un univers gothique, qui s’inspirent des enluminures du moyen-âge autant que des crime comics des années 1950. Cultures populaires, religions, images de fête et de guerre, du paradis et de l’enfer, se mêlent dans une vingtaine de tableaux joyeux mais malsains!
Moins convaincante, l’oeuvre de Tatiana Trouvé (née en 1968, vit à Paris) – Double Bind – réunit des sculptures hybrides (rochers recouverts de cadenas et de poids en cuivre, paysages de sel, matériel de musculation détourné, etc.) dans un parcours déstructuré qui désoriente le visiteur. Notion des théories de communication, le double bind met le sujet dans une situation qui le bloque mentalement voire physiquement. D’où cette installation qui propose divers choix de parcours et trouble les logiques de la perception.
Enfin, les deux « petites » installations mensuelles réunies sous le concept de « modules » (des expositions temporaires invitant de jeunes artistes et appelées à changer tous les mois) présentent les retouches cinématographiques de Camille Henrot (née en 1978, vit à Paris) et une installation de David Ancelin (né en 1978, vit à Nice). La première montre une nouvelle version de King Kong – King Kong Addition – superposant les trois films hollywoodiens de 1933, 1976, et 2005. Noircie, opaque et souvent illisible, l’image ne laisse vraiment deviner que deux personnages – la jeune femme et le gorille. Qui ressuscite sans cesse, au gré des nouvelles adaptions cinématographiques.
David Ancelin s’intéresse à la solitude des objets abandonnés. Ici, un motoculteur de 1949 trace un sillon sur un sol de tomettes anciennes et finit par s’échouer contre le mur.
Cet ensemble composite d’installations fait preuve d’originalité et laisse une grande part à l’imagination du visiteur pour interpréter comme il l’entend les oeuvres. Quelques explications, dans un langage usuel – ouf, pas de maux de tête en sortant! – sont données à l’entrée des salles. Mais, libre ensuite à l’esprit de chacun de s’en détacher pour réagir à sa guise face à ces créations plus ou moins folkloriques et recherchées. Mais toutes de qualité.
L’art et la science se rejoignent enfin.