Jusqu’au 16 janvier 2011
Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson 75116
Après les très appréciées « cartes blanches » laissées à Ugo Rondinone (2008) et Jeremy Deller (2009), le Palais de Tokyo invite Adam McEwen à devenir commisssaire de l’exposition « Fresh Hell ». L’artiste britannique présente une sélection d’oeuvres contemporaines. Plus original pour le Palais de Tokyo, il a également choisit d’exposer des sculptures médiévales prêtées par le Musée de Cluny à Paris. Une manière de suggérer que l’influence historique et l’inspiration artistique évoluent de manière latérale plutôt que verticale.
La plupart des artistes sélectionnés par Adam McEwen (né en 1965 à Londres, vit à New York), pour figurer au sein de « Fresh Hell » sont issus de la communauté new yorkaise.
Barbara Bloom (née en 1951, vit à New York) joue avec les archétypes de notre société vis à vis du désir (cf. Playboy for the Blind qui en dit long sur notre aveuglement en la matière).
David Hammons (né en 1947, vit à New York) s’intéresse aux clichés attribués à la communauté afro-américaine pour mieux les détourner. In the Hood représente une capuche qui enferme un espace sombre, suggérant un visage noir, qui contraste avec la blancheur du mur porteur. L’oeuvre se double d’un jeu de mot: « hood » signifie autant capuche qu’entourage (par abbréviation de neighborhood) – une référence aux jeunes des ghettos, cantonnés aux limites de leur quartier.
Maurizio Cattelan (né en 1960, vit à New York) inverse le schéma traditionnel du ready made. Avec – 74.400.000, un coffre-fort fracturé, il renvoie au montant dérobé, à une valeur manquante de l’économie réelle. A l’inverse de Duchamp qui lui transposait le réel dans un ordre symbolique. En 1994, pour sa première exposition à New York, l’artiste italien expose un âne, symbole vivant de l’idiotie: « Ma première oeuvre était trop chère. Ma seconde idée n’était pas faisable. Alors je me suis représenté comme un âne ».
L’idée de soustraction se retrouve chez Michelangelo Pistoletto (né en 1933, vit à Biella), un des principaux représentants de l’Arte Povera. Avec les Objets en moins, l’artiste propose une amputation de l’objet (cf. le portait découpé de Jasper Johns dont il ne reste que les oreilles), qui offre pour autant une nouvelle perspective.
Matias Faldbakken (né en 1973, vit à Oslo) pratique la même dérision humoristique que M. Cattelan. Comme indifférent à ses propres oeuvres, il leur ôte toute valeur narrative (sauf pour ses romans), toute expressivité. Il tient ses travaux à distance, pour ne pas confondre processus créatif et travail. Ses oeuvres sont pour lui à mi-chemin entre culture et contre-culture, relève d’une indépendance créative et tout à la fois d’une dépendance commerciale.
Rob Pruitt (né en 1964, vit à New York) va plus loin encore en supprimant toute séparation entre son art et sa vie. Il encourage le public à produire lui-même ses oeuvres d’art grâce à son recueil 101 Art Ideas You Can Do Yourself. L’artiste s’amuse à remplacer les Marilyn de Warhol par des pandas pailletés, il expose des éclaboussures rouges et roses sur des châssis en aluminium et remplit de béton des jeans pour créer de drôles d’agencements.
Face à ces oeuvres contemporaines, subversives et légères, les sculptures du musée national du Moyen-Age font figure de point d’ancrage historique et d’acte de conservatisme. Les Têtes de rois de Juda, qui ornaient la grande façade de la cathédrale Notre-Dame de Paris, sont mises à bas lors de la Terreur (1793) par les Révolutionnaires. Qui ne le sont pas tant que ça: 22 des 28 têtes ont été retrouvées lors de travaux de construction rue de la Chaussée-d’Antin, où elles avaient été secrètement enfouies en 1796.
Les expositions « carte blanche à » sont de loin mes préférées au Palais de Tokyo. Elles offrent un aperçu de recoupements esthétiques, d’influences historiques, de processus créatifs inattendus.