Le Piment des plus beaux-jours de Jérôme Nouhouaï
Editions Le Sepent à plumes (Editions du Rocher), mars 2010, 338p., 19€
Premier roman du chercheur béninois Jérôme Nouhouaï (né en 1973), Le Piment des plus beaux-jours décrit de manière crûe et drôle les amours de trois étudiants colocataires sur fond de xénophobie. Jojo, le sapeur, est autant obsédé par les filles que l’argent. Le narrateur, Nelson, préfère s’enticher d’une seule fille mais pas n’importe laquelle: l’inatteignable beauté fatale, Josianne, progéniture couvée d’un ancien ministre. Quant à l’intellectuel Malcom, il s’intéresse tout aussi passionnément à une autre catégorie de population: les Libanais… Trois destins réunis au sein de la maison de Papa Chicotte, leur logeur à Calavi-ville – deuxième plus grande ville du Bénin, après Cotonou. Un portrait sans fioriture des préoccupations de la jeunesse béninoise d’aujourd’hui.
Ames prudes s’abstenir! L’auteur donne force détails des relations charnelles de ses personnages, en pleine force de l’âge! Ce qui lui permet, mine de rien, d’aborder l’évolution des moeurs entre filles et garçons dans le Bénin du XXIe siècle. Si Jojo se comporte comme un vrai macho d’antan, Nelson découvre la douceur d’une liaison avec Nicole, « prostituée à mi-temps », qu’il apprend au fil des pages à respecter. Ce qui ne l’empêche pas de couver les pires sentiments – jusqu’à la volonté d’assouvir un viol – lorsqu’il se fait humilier par l’objet de ses désirs.
Le récit est donc extrêmement porté sur la chose. Mais se profilent en filigrane d’autres thèmes sociétals qui apportent une véritable profondeur au texte. Nous avons déjà parlé des relations hommes/femmes. J. Nouhouaï aborde également les problèmes de corruption politique, les débrouilles pour faire face aux difficultés économiques, l’incompétence de la police, l’engrossement des collégiennes par des étudiants, l’importance du « quand dira-t-on » dans l’entourage, etc. Le plus grave reste le problème racial. Les préjugés à l’encontre de communautés de régions différentes jusqu’à la haine lorsque les individus viennent d’un pays étranger et font fortune au Bénin. Les Arabes de manière générale et les Libanais en particulier.
« Ce n’est pas un film… Ce n’est pas la télé. On n’est pas en Somalie, ni en Afghanistan. C’est une agression à la bombe à Cotonou, et je suis en plein dedans! » réalise Nelson. « […] Ce qui me faisait apprécier l’incroyable témérité des… des quoi, déjà? Terroristes? Patriotes? Illuminés? Fous? Des membres du Calice Noir. […] Cette fois, combien de victimes avaient-ils fait? Y avaient-ils aussi des Béninois piégés dans l’explosion ou atteints par leurs coups de feu? Dans ce cas, ils allaient perdre le peu de sympathie qu’ils s’attiraient dans certains milieux ayant en commun avec eux la haine de ces Libanais. Jusqu’où ça irait, parce qu’on voyait bien que ça ne faisait que s’accentuer. Des coups de barre de fer, ils étaient passés aux poignards, puis aux armes à feu et enfin à la bombe! Qu’est-ce à dire? Qu’ils bénéficiaient probablement d’un soutien financier pour les alimenter en armes, peut-être aussi de l’appui de militaires, à moins qu’il ne s’agisse d’accointances avec des trafiquants d’armes. Comment expliquer que, depuis le début de leurs actions, on n’ait pas encore réussi à attraper un seul d’entre eux? Pourtant, tous les jours, les policiers mettaient la main au collet de bandits qu’on exhibait ensuite devant les caméras de télé comme des bêtes de foire » (p.188/190).
Charmé par les expressions en langue originale (traduites dans le glossaire en fin de livre), qui confèrent au style une touche certaine d’exotisme, et à l’inverse exaspéré par le récurrent « Va chier, Jojo/Malcom/etc. », le lecteur se laisse transporter avec allégresse dans les histoires de coeur de Nelson et Jojo. Et celles plus intellectuelles, mais non moins sordides, de Malcom. L’auteur s’offre en plus le luxe d’offrir un retournement de situation dramatique, accentué par une fin qui reste ouverte. Un premier roman très prometteur.