Une femme d’avant-garde
Jusqu’au 23 mars 2025
Musée Maillol, 61 rue de Grenelle, Paris 7e
Qui était vraiment Nadia Khodossievitch-Léger (1904-1982) ? Femme de Fernand Léger, mais encore ? Le musée Maillol dévoile une centaine d’oeuvres qui témoignent de son intuition avant-gardiste, de son premier tableau à l’âge de quinze ans à ses compositions « aérospatiales », en passant par ses portraits pop avant l’heure.
Méconnue, Nadia Léger (née Khodossievitch, dans un village de l’actuelle Biélorussie) a profité des ateliers d’art installés par le nouveau régime bolchevik après la révolution d’octobre (1917) pour combler sa passion pour la peinture.
Ayant pour premiers maîtres Malevitch et Kandinsky, elle émigre en Pologne puis à Paris pour trouver comme « nouvel éclaireur » – après que Malevitch a déclaré que la peinture abstraite est finie – Fernand Léger. De son statut d’élève (1928), elle deviendra son assistante (1932), sa maîtresse, sa femme (1952), son héritière (1955).
À la mort de F. Léger, Nadia Léger dédie son temps et sa fortune à la valorisation du travail de son mari aux dépends du sien. Ce dévouement additionné du fait que « c’était une femme, une immigré, et une militante communiste expliquent pourquoi l’histoire de l’art l’a oubliée », commente Élie Barnavi (directeur scientifique de Tempora, l’agence qui a monté cette exposition).
C’est par la revue Esprit Nouveau qui circule en Europe de l’Est que Nadia découvre les oeuvres de Fernand Léger. Elle décide de quitter Varsovie où elle étudiait avec son mari Stanislas Grabowski pour aller dans la capitale des arts et fréquenter les artistes de Montparnasse. Après la naissance de leur fille Wanda, les tensions entre les époux s’exacerbent et le divorce est prononcé.
Nadia s’inscrit à l’Académie de Fernand Léger, opérationnel de 1924 à 1955. Femme et pierre (1937) est la première oeuvre qui atteste de l’influence de Fernand sur Nadia. Comme dans les toiles du maître, elle associe des objets du quotidien à des figures. Mais contrairement à lui, chaque visage de femme est unique et expressif. La figure n’est pas un objet mais le motif central de son oeuvre.
On retrouve ce culte de la personne dans les nombreux portraits qu’elle réalise des personnalités politiques, littéraires, artistiques. D’abord réalisés à la gouache – exposés ici comme les icônes juxtaposées des églises orthodoxes – ils sont ensuite transposés en mosaïques. L’un de ces portraits représente Lénine. « Il a longtemps été présenté dans la vitrine d’Aeroflot sur les Champs-Élysées. Il a aujourd’hui disparu. La légende raconte qu’il a été transféré en Russie », raconte Aymar du Chatenet, auteur de l’énorme (4,2 kgs !) biographie de Nadia Léger, éditée à l’occasion de l’exposition.
L’Atelier de Léger avec les élèves célèbres qui y participèrent est reconstitué à travers des photos d’archives et des toiles de Sam Francis, Hans Hartung, Nicolas de Staël, etc.
Le combat de résistante de Nadia pendant la Seconde Guerre s’incarne dans des portraits militants, le visage de Fernand exilé à New York, et celui de sa fille Wanda, elle-même résistante. Les temps sont sombres, mais les couleurs de Nadia restent écarlates : chemise rouge, bouquet de fleurs chatoyantes ; « une composition qui rappelle les icônes russes », précise Léa Rangé, une des commissaires de l’exposition.
La seconde partie de l’exposition (niveau du rez-de-chaussée) est dédié à l’art de la propagande au service du parti communiste. Nadia prend sa carte en 1932 et lui reste fidèle jusqu’à la fin de sa vie. Staline, Lénine, travailleurs, sportifs sont glorifiés selon les principes du réalisme socialiste.
La conquête de l’espace dans les années 1960 fascine toute une génération d’artistes dans les années 1960, de David Bowie à Pierre Cardin en passant par Nadia Léger qui se focalise sur le vol de Youri Gagarine autour de la Terre (1961). Ses compositions redeviennent plus abstraites ; elle entoure ses figures de formes géométriques avant que ces dernières ne prennent toute la place de la toile.
Le film final résume de manière captivante la vie de combat et l’oeuvre bouillonnante de cette femme, oubliée de l’histoire de l’art.