Jimmie Durham – Pierres rejetées…
Jusqu’au 12 avril 2009
Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson 75116, 5€
« Le monde m’aime comme un chien stupide », affirme Jimmie Durham. Cliché de l’artiste mal aimé, mal compris. De fait, son oeuvre s’inscrit dans un cheminement artistique anti-fédérateur. L’artiste vise à combattre toute forme de hiérarchie, de catégorie rationnelle, d’attachement à un quelconque mouvement. Il revendique une liberté non assujettie aux normes sociétales et géographiques – à peine installé dans un pays, il le quitte. Pas étonnant que le public ait du mal à suivre…
Né aux Etats-Unis en 1940, Jimmie Durham choisit de s’installer en Europe – qu’il appelle « Eurasie » – à partir de 1994. Le musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente une soixantaine d’oeuvres qu’il a réalisé depuis son émigration. Ces dernières ont la particularité de critiquer l’architecture – donc l’Etat – inhérente, selon l’artiste, au continent. « L’Europe est une construction architecturale, bien davantage que tout autre chose, l’architecture y ayant endossé durant des siècles un programme étatique d’une telle force d’invention et de mise à exécution des convictions, de la foi » (extrait d’un entretien entre l’artiste et les commissaires d’exposition, Laurence Bossé et Julia Garimorth, décembre 2008). D’où l’utilisation récurrrente de la pierre dans le travail de J. Durham. Comme symbole du monument mais surtout comme outil essentiel de destruction. Et d’où le titre de l’exposition, tiré de l’expression « pierres rejetées par les bâtisseurs » (in Psaume 118 verset 22).
L’artiste aime donc jeter des pierres contre des objets du quotidien (Saint-Frigo), de loisir (avion de tourisme). Pour les détourner de leur banalité et leur conférer, avec violence, un statut d’oeuvre d’art.
La seconde caractéristique de son corpus est le bois. Un matériau naturel qui enregistre les marques du temps et de l’Histoire. Des planches en bois sont découpées avec leurs champignons, extraits de larves, mais aussi balles de la Seconde Guerre mondiale. Là encore, l’artiste stigmatise notre goût pour la technologie, objet de notre propre destruction. Tel l’avion qui se retournera contre l’homme comme dans les attentas du 11 septembre 2001. Cette oeuvre représentant une pierre « crashé » contre un biplane s’intitule Encore tranquillité (2008). Du français incorrect qu’assume l’artiste! Installé à Berlin, à Rome, à Paris, J. Durham ne maîtrise guère les langues européennes. Cela relève de sa volonté de ne pas s’assujettir à une norme, à un code forcément restrictif.
Poète autant que sculpteur, l’artiste est pourtant sensible au language et truffe ses oeuvres de mots. Un des points forts de son travail est précisément sa mise en relation entre des termes comme « virtue« , « honest« , « fort », brave », inscrits sur des bidons de pétrole, et l’utilisation décalée qu’il en fait: dans Sweet light crude (2008), il peint ces bidons métalliques de couleurs claires. Contraste entre la puissance des mots et la douceur des couleurs, entre la puissance symbolisée par le contenant et la faiblesse du contenu, ici réduit à un décor théâtral. Qui évoque le medium artistique par lequel Jimmie Durham a commencé sa carrière.
Autre flash back. Ses dernières oeuvres le renvoient à son premier amour – l’Amérique. Ardent défenseur des droits civiques des Indiens, il combat l’impérialisme américain, qu’il incarne dans cette exposition par la sculpture d’un aigle épiant les faits et gestes des citoyens (Thinking of You, 2008).
Une seconde référence à son pays natal se trouve dans le film La Poursuite du Bonheur (2002-2003) – extrait de la Constitution américaine – qui porte un regard amusé sur le statut de l’artiste amérindien, métaphore de la vie d’artiste, passant de l’anonymat à la célébrité, tel J. Durham.
Une oeuvre que l’on peut lier avec les Arcs de Triomphe for Personal Use (2007) – des portants sous lesquels le visiteur, anonyme, serait invité à passer dessous pour décider de son propre moment de gloire!
Peu connue, l’oeuvre de Jimmie Durham fait son entrée dans un grand musée parisien. Est-ce que cela va aider le public à mieux adhérer à son travail? Rien n’est moins sûr. D’une part, parce qu’un seul cartel, à l’entrée de l’exposition, apporte une légère introduction sur la vie et l’oeuvre de l’artiste. Alors qu’il n’est pas célèbre (à l’inverse des rétrospectives des grands maîtres, qui détaillent en long et en travers des biographies d’artistes connus) et que son travail recquiert nécessairement un contexte explicatif. D’autre part, parce que le statut d’oeuvre d’art est en jeu et soulève la sempiternelle question de ce qui fait sa valeur. Ainsi du frigo criblé de jets de pierre. Devient-il une oeuvre d’art par le simple fait que l’artiste le défigure et le place dans un musée?
L’exposition aurait donc gagné en profondeur par un éclairage plus complet sur les oeuvres de cet artiste aux références culturelles multinationales (J. Beuys, D.Hammons, Brancusi, Calder, etc.).