Gao Bo – Offrandes
Vincent Perez – Identités
Jusqu’au 9 avril 2017
Maison Européenne de la Photographie, 5/7 rue de Fourcy, Paris 4e
Nouveau programme saisissant à la Maison Européenne de la Photographie : deux étages consacrés à l’artiste chinois Gao Bo (né en 1964 dans la province du Sichuan), dont l’oeuvre est présentée pour la première fois en Europe – et l’inattendu Vincent Pérez – oui, oui, l’acteur et réalisateur suisse, que l’on découvre aussi photographe !
Le premier étage présente les photographies que Gao Bo a prises au Tibet. Pays ensorcelant qu’il découvre pour la première fois en 1985 et où il retourne plusieurs fois au cours des années 1980/90. Il y capture les rites ancestraux des moins bouddhistes et le quotidien d’un peuple ancré dans la spiritualité.
Mais ne vous attendez pas à trouver de jolis portraits tous beaux tous propres ! De retour à Pékin, Gao Bo reprend ses tirages pour les recouvrir d’encre, de peinture et de…son propre sang. Les âmes sensibles auront du mal à se confronter aux images de cette salle, tant elles sont poignantes.
Les interventions de l’artiste sur ses photographies se font de plus en plus fortes et virent à la performance. Il va jusqu’à recouvrir de peinture noire des tirages monumentaux ou brûle entièrement des séries de portraits de condamnés à mort. Dans l’exposition (2e étage) restent des cadres en bois calcinés qui font face à une installation effrayante : des poteaux en bois sont traversés par de grands tubes de néons et reliés entre eux par des fils avec le portrait de chaque victime. Impression d’assister en direct à leur condamnation…
Cette violence s’explique, selon François Tamisier, co-commissaire de l’exposition, par l’immense souffrance de l’artiste. D’une part, sa mère se suicide devant lui alors qu’elle n’avait que trente ans et lui 8. Il lui rend hommage par un morceau de tronc d’arbre qu’il a trouvé dans la nature, et qui porte en son centre un filet couleur rouge sang. D’autre part, l’artiste est intensément furieux. « Une colère porteuse du sentiment de l’urgence à agir. En marge de l’urbanité, Gao Bo est en sursit de la réalité politique du monde et de ses vanités. Témoin des violences que s’infligent les peuples, l’homme doute profondément de la réalité de la beauté de l’alliance de la nature humaine à celle de la nature qui nous accueille. Dans cette architecture monacale qu’il a bâtie, reclus déjà depuis de nombreuses années, Gao Bo expérimente inlassablement et méthodiquement la pensée comme processus de survie et de renaissance. »
Au 3e étage, un peu de répit. On renaît soi-même devant les portraits des Parisiens de Vincent Pérez. Ces Parisiens du quartier du métro Château Rouge, « où un bout d’Afrique s’y est installé depuis des années. […] Je ne voulais pas de clichés mis en scène mais des images croquées dans le quotidien des badauds et des habitants du quartier. Rencontres fortuites, soudaines, hasardeuses ; quelques secondes rognées sur leurs journées ».
Influencé par Martin Parr et son usage du flash circulaire malgré le plein soleil, V. Perez capture des portraits avec un léger flou – on dirait presque de la peinture – représentant jeunes filles et sapeurs, qui « se montrent, échangent, palabrent, chacun a une identité, un rôle. En dehors du quartier, chez les Blancs ce n’est pas la même histoire, ils n’ont plus cette identité me disent-ils, certains m’ont même confié qu’ils devenaient invisibles. On ne nous regarde plus, on fait partie d’un groupe identifié, les Africains.’ Ici, l’artiste réalise des portraits à mi-chemin entre le documentaire et la revendication : « Nous sommes des Parisiens dans un quartier de Paname ».
La seconde section présente des portraits de Russie où l’artiste voyage fréquemment depuis une vingtaine d’années. « Aujourd’hui, leur vie est complexe, partagée entre un besoin d’émancipation individuelle et une retenue profondément liée à l’histoire du pays. »
Questionnement du processus créatif aux frontières de la destruction et thématique identitaire sont ainsi au coeur de ce double parcours photographique saisissant.