Jusqu’au 3 janvier 2008
Palais de Tokyo, 13 avenue du Président Wilson 75116, 01 47 23 54 01
Marc-Olivier Wahler, directeur du Palais de Tokyo, offre pour la dernière saison 2007 carte blanche à l’artiste suisse Ugo Rondinone (né en 1964, vit à New York). Non pour qu’il expose ses propres oeuvres. Mais pour présenter les travaux de 31 artistes – des connus, des inconnus, des émergents, des marginaux, des ex-artistes, des non-artistes (ou du moins juste le temps de cette exposition). Le tout résulte en un gigantesque collage, comme émanant d’un Third Mind – troisième esprit, né des choix d’Ugo Rondinone.
Voilà une exposition conceptuellement forte, avec des oeuvres violentes, prenantes, dérangeantes. Mais rarement esthétiques. Là ne réside pas l’intérêt de The Third Mind, qui par sa référence, définit derechef le ton donné à cette exposition collective.
The Third Mind reprend le titre d’un livre conçu par l’écrivain William S. Burroughs (1914-1997, mouvement de la Beat Generation) et l’artiste Brion Gysin (1914-1986, inventeur de la Dream Machine). S’insirant des cut-up de Tristan Tzara et des surréalistes – découper, coller, répéter les mots ou les morceaux de phrase -, Brion Gysin applique la technique à la peinture et au cinéma. Les deux hommes entreprennent une collaboration totale pour créer des planches composées de collages de matériaux divers, d’articles de journaux, d’images, de plans, etc.. Bien que le livre ne voit finalement pas le jour, la communion de leur talent respectif leur donne l’impression qu’une troisième entité est née.
Ici, cette troisième âme épouse la faculté d’Ugo Rondinone à créer des liens, des associations mentales entre les objets. Mais aussi à générer des scénarios multiples à partir d’une seule et même oeuvre.
Ainsi, l’exposition se visite dans n’importe quel sens. A titre indicatif, Ugo Rondinone préfère commencer par ce qui est communément la dernière salle du Palais de Tokyo (celle à la droite du hall d’entrée). Afin de visualiser les films d’Andy Warhol (1928-1987), diffusés sur des moniteurs placés au sol (pour reprendre une installation d’Ugo Rondinone), et présentant des portraits des amis de l’icône du Pop Art – Lou Reed, Marcel Duchamp, Susan Sontag, Nico, etc. – comme s’ils étaient des stars. Drôle d’impression que d’être dévisagé par ces personnages immobiles. Normalement, c’est le spectateur qui fixe l’écran! Inversion des rôles et démultiplication des images, les banalisant, pour mettre en évidence les paradoxes de la société de consommation. Qui consomme autant les produits que la culture et l’art.
Autre salle dérangeante, le hall investi par Sarah Lucas (née en 1962, vit à Londres), avec Car Park (1997) exhibant une voiture accidentée faisant face à des murs recouverts d ‘une répétition de photographies de parkings vides. Un manifeste crû de la violence humaine.
Pire est la vision de têtes de bois sculpté, entièrement recouvertes de cuir noir et dotées de pic, de corne, ou de harnais de chevaux, réalisées par Nancy Grossman (née en 1940, vit à New York). Même thème de la violence, parée en plus de sexualité.
Têtes qui s’intercalent avec les formes géométriques de Ronald Bladen (1918-1988, figure forte du minimalisme américain, pourtant oubliée contrairement à son compatriote Tony Smith). The Cathedral Evening (1971) – incarnée par un triangle surplombant le visiteur – semble annoncer une catastrophe, un drame – l’Apocalypse?
Je vais m’arrêter là dans la description des oeuvres pessimistes avant que l’un d’entre vous ne tombe en dépression!
Je mentionnerai toutefois Emma Kunz car il faut savoir qu’elle n’est pas une artiste mais une guérisseuse. Elle a découvert l’Aion A, une roche thérapeutique, originaire de Würenlos en Suisse. Ses dessins aux crayons à couleur et mine de plomb sur papier millimétré étaient conçus pour chacun de ses patients et représentent des « champs magnétiques ».
Oeuvre qui dialogue avec les vitrines en plexiglas jaune fluo de Paul Thek (1933-88), dans lesquels sont enfermés des fragments de chair en cire – des « morceaux de viande » qui traduisent l’horreur de l’artiste face à la guerre du Vietnam.
Pour finir sur une note plus gaie – si, si, c’est possible! – Urs Fischer (né en 1923, vit à Los Angeles, Zurich, et Berlin) a entièrement transporté son studio d’artiste lorsqu’il a quitté Londres. Avec tout ce qu’il contenait: oeuvres, matériaux, murs, plancher, mégots de cigarettes, vêtements de travail, etc.. Un ready-made du processus créatif.
Quand on sort de l’exposition, on ressent une sensation de néant. Justement, tel est le terme qu’Ugo Rondinone utilise pour décrire son travail. « Pour moi, toute oeuvre est entrée dans le néant. » Mais entendons-nous, « le rien n’est pas quelque chose qu’on puisse expliquer ou comprendre. C’est la négation de la compréhension et de l’entendement ». D’où le cercle vicieux de l’artiste – autant que du critique d’art -: « concevoir des explications qui ne servent à rien pour décrire ce rien paradoxal qui est à l’origine de la poésie de mon travail »(Extrait de Broken Screen, 26 Conversations, 2006)…
Jamais je ne comprendrais l’utilité de la pornographie dans cette exposition.
Non pas qu’elle me révulse, mais le choc créé et le mal-être qui en résulte n’est pas en adéquation avec l’ambiance générale qui rejaillit de cette succession de salles.
Cette exposition reste néanmoins trrès intéressante, à partir du moment où l’on ne reste passif: il faut vivre ce voyage du Third mind en tant que spectateur et acteur inconscient par les changements de température, sons, lumière et enfin, par la perpetuelle remise en cause de ce que l’on pense et de ce sue l’on vit.
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