Fastes occidentaux de maharajahs par Amin Jaffer (2007). Editions Citadelles & Mazenod. 276 pages, 350 illustrations couleur, 65€
Amin Jaffer, conservateur au département asiatique du V&A, à Londres, est LE spécialiste de l’art et de la culture de l’Inde coloniale. Il propose aujourd’hui une analyse sur les créations de luxe réalisées par les enseignes européennes à l’intention des maharajahs, fascinés par le savoir vivre/faire de l’Occident. Un livre magnifique, richement documenté.
Au temps de l’Inde britannique, les princes et rois locaux, dénués de tout pouvoir politique, jouaient pour autant un rôle de colmateur et de modèle entre la Couronne et la population indienne, pour réfréner le mécontentement de cette dernière. Mais aussi leur apporter un semblant de démocratie.
Le XIXe siècle était un temps où les maharajahs pouvaient dépenser sans compter. Autorisés à voyager en Occident, ils s’éprirent du mode de vie européen, réputé pour son luxe et son raffinement. « Aussi loin que je me souvienne, ma plus grande ambition fut de voyager dans les pays occidentaux et de me rendre compte par moi-même des merveilles que l’on m’en avait dites » révèle le maharajah Jagatjit Singh de Kapurthala dans My Travels in Europe and America (1895).
Les grandes maisons de luxe comme Boucheron, Cartier, Chaumet, Van Cleef & Arpels, Louis Vuitton, etc. exportent leur renom à l’étranger grâce à ces princes indiens prêts à s’endetter pour acheter pêle-mêle: « blazers de tennis bleus, pantalons et chemises de tennis en flanelle, porte-cigarettes Hermès, outils de jardin, verrerie, bronze, tableaux, porcelaine, bijoux, maroquinerie », etc..
Cet engouement des princes pour le luxe a non seulement enrichi les grandes maisons européennes, mais il a aussi permis de leur porter un second souffle créatif. Car elles devaient inventer des objets ou bijoux adaptés à leur demande. Par exemple, des ornements spécifiques comme le sarpech (pour turban) ou le nath (anneau de nez).
L’auteur s’est penché sur les archives des grandes maisons de luxe pour retrouver les factures faramineuses des maharajahs qui leur ont fait connaître leurs plus beaux moments de gloire. Amin Jaffer illustre son récit de nombreuses anecdotes qui rendent ses propos vivants et passionnants.
Ainsi apprend-on qu' »à trois ans, la rajmata Gayatri Devi de Jaipur donna libre à ses premières folies dépensières, qui avait trouvé le moyen de se glisser hors de la maison familiale de Knightsbridge jusqu’au rayon des jouets de Harrods, où, jour après jour, elle s’offrait un petit quelque chose, qu’elle faisait royalement mettre sur son compte, jusqu’à ce qu’elle se fasse prendre! ».
Le lecteur occidental se retrouve aisément captivé par ces princes indiens qui n’avaient aucun scrupule à adopter le mode de vie occidental, aux dépens de leur propre culture. Néanmoins, il est un manque curieux. Certes, Amin Jaffer évoque les problèmes à terme du comportement extravagant des maharajahs, qui de retour de leurs voyages, mangent avec une fourchette au lieu de leur main droite, parlent couramment anglais et français en oubliant l’hindi, omettent de ne pas boire de l’alcool et de fréquenter les femmes. Surtout, ils s’endettent monstrueusement pour satisfaire leur niveau de vie. Mais l’auteur ne mentionne que superficiellement leur réticence à l’envahisseur britannique. A. Jaffer insiste plutôt sur le respect que les uns et les autres se portent. S’il est vrai qu’avant l’arrivée des Anglais sur le sol indien (à la fin du XVIIIe siècle), les princes locaux s’affrontent en éternelles guerres, force est de reconnaître que les coloniaux leur ont tout de même sapé le pouvoir et le lecteur (surtout, français) contemporain peine à croire que la colonisation se soit passée dans d’aussi bonnes moeurs!
Hormis cet angle discutable, rendons hommage à la rigueur du contenu, à la richesse des exemples, et au choix des illustrations, de ce livre pleinement artistique.